Mon histoire d’autiste
J’ai passé la moitié de ma vie dans la méconnaissance totale de mes particularités neurologiques.
C’est seulement à l’âge de 44 ans que j’ai été diagnostiquée autiste et à 49 ans Tdah. C’est aussi à cette période que j’ai découvert que j’étais atteinte d’une maladie génétique qui expliquait mes nombreux symptômes qu’on avait mis tout au long de mon existence sur le compte d’une hypocondrie amplifiée par un terrain anxieux.
Comment est-ce possible de n’avoir rien vu ? J’avais vu, bien sûr, j’avais vu dès l’enfance que j’étais perdue dans ce monde comme un chaton sur l’autoroute. Mais j’ai grandi avec les paroles se voulant rassurantes : « Mais tout le monde a ça, tout le monde est comme ça, t’es juste timide, t’es juste anxieuse, t’es juste chochotte, faut te forcer un peu, et moi aussi j’ai mal partout, moi aussi j’ai ci ou ça… tout le monde est comme ça ! Arrête de te regarder le nombril ! » Quand on sait que ces atteintes ont toutes une origine génétique, on comprend mieux que mon entourage ait pu ne rien voir, étant comme moi sur beaucoup de points…
Comment voir la différence quand elle est la norme dans une famille ?
Alors j’ai dû apprendre à endurer, mais surtout à étouffer en moi tout ce qui hurlait, manifestations physiques comme mentales. Je me suis persuadée qu’à force de batailler, de travailler sur moi, d’observer les autres et d’apprendre, j’allais arriver à vivre comme le faisait tout un chacun. J’étais impressionnée par leur facilité à traverser le quotidien, et je m’exhortais à m’accrocher et prendre courage, car si les autres y arrivaient si bien, pourquoi moi qui étais « comme tout le monde » n’y arriverais-je pas ?
Le meilleur ami d’enfance d’un de mes fils était autiste. Nous l’avons côtoyé pendant de nombreuses années. Je n’ai pas eu la puce à l’oreille.
Un jour néanmoins j’ai entendu une description de l’autisme, et j’ai ri avec ironie en disant « Pfff, à ce compte-là, moi aussi je suis autiste ! » Et j’ai oublié.
Puis j’ai rencontré mon époux, et je l’ai beaucoup taquiné sur son probable autisme qui me sautait aux yeux mais dont il n’avait pas conscience. J’étais heureuse d’aller fouiller son monde, moi qui avais toujours été attirée par la découverte des personnes ayant des handicaps divers. Quelques années plus tard, je lui ai proposé de faire des tests en ligne pour vérifier si je voyais juste à son sujet. Les tests sont ressortis négatifs (peu de choses de la vie courante le dérangent et il ne voit donc pas de problème à son quotidien, ses réponses ont été orientées dans ce sens). Dépitée, j’ai voulu lui prouver que ces tests n’étaient pas fiables en les remplissant moi-même, sur le mode « tu paries que du coup c’est moi qui vais avoir un résultat positif ? » En effet, il l’était. Nous avons bien ri de la stupidité de ces formulaires en ligne. Alors pour rigoler encore plus, j’ai passé un autre test sur un autre site, résultat encore positif. La semaine suivante, mon mari a pointé sans cesse pour me taquiner les attitudes que j’avais s’apparentant à l’autisme. Je n’ai plus rigolé et j’ai commencé à me poser pas mal de questions et à avoir peur. Un soir, j’ai passé d’autres tests, positifs, encore… Alors je suis restée scotchée là, toute seule sur mon canapé, les yeux dans le vague, et soudain ma vie a basculé… J’ai revu toutes les années précédentes sous un nouveau jour, le film de ma vie a défilé.
Avec une nouvelle grille de lecture, soudain toutes mes difficultés faisaient sens…
Je me suis mise à trembler, j’ai pleuré une bonne partie de la nuit, seule, choquée.
Un an plus tard, la médecin psychiatre m’annonçait que j’étais en effet autiste. Tout s’écroule. Le personnage que j’avais construit, qui semblait tenir debout après le travail d’une vie, s’effondrait. Qui suis-je ? Est-ce que je suis le plus gros mensonge que la Terre ait porté, moi qui mettais un point d’honneur à être authentique, transparente, sincère, spontanée ?
Qu’est-ce que je vais faire, comment je vais vivre à présent ?
J’ai mis un an pour remonter la pente. J’ai pleuré tous les jours. Je ne me connaissais plus, il fallait tout reprendre à zéro. Tomber le masque, me rencontrer, me découvrir, apprendre à connaître un nouveau moi. Oser voir ce que j’avais caché au plus profond, laisser sortir « le monstre », comme je l’appelais… Oh il est bien sorti, je ne me suis jamais vue aussi misérable que pendant cette année-là. Ma fierté en a pris un coup, honteuse de tous ces troubles qui se sont mis à m’envahir comme s’ils avaient attendu ce moment pour enfin être libres et se révéler au grand jour. Je m’étais toujours sentie nulle, bête et insignifiante, mais là j’étais en-dessous de ça : mon corps et mon esprit n’étaient plus que fange.
Mon époux a été là, rassurant, réconfortant, soutenant, m’assurant de son amour même s’il ne voyait chaque jour que les côtés de moi que je considérais comme les plus dégradants. Il m’a portée sur mon échafaudage, et la reconstruction a commencé, petit bout par petit bout. Je suis née une nouvelle fois, mais bien différente.
Je préférais encore celle que j’étais avant de savoir, mais je ne savais plus faire autrement que de pactiser avec le côté obscur qui avait surgi. J’allais le transmuter en lumière.
Cinq ans plus tard, je crée du contenu sur les réseaux et sur Youtube en assumant totalement mes faiblesses, ce qui en fait une force qui inspire chaque jour d’autres autistes. Je n’ai plus honte, je revendique cet autisme qui fait partie de mon identité et surtout, surtout, j’ai appris à vivre avec plutôt que de l’étouffer : je suis vigilante quotidiennement pour détecter où sont mes limites, avant de les avoir franchies, afin d’éviter de sombrer dans les crises autistiques et la souffrance. Je prends soin de moi, là où toute ma vie les autres ont été prioritaires parce qu’on est pris pour des égoïstes si ce n’est pas le cas.
La révélation de mon autisme a été le déclencheur de l’attention portée à moi-même.
Être douce avec moi, indulgente, me nourrir de ce qui me procure de la joie, parce que lorsque je suis bien, les relations à mon entourage sont possibles, agréables et constructives.
C’est cette nouvelle vision de la vie que je partage avec vous au travers de mes contenus. J’espère que mon témoignage sera aidant pour vous qui me lisez, d’une manière ou d’une autre. N’hésitez pas à m’écrire si vous en ressentez le besoin ou à commenter au bas de cette page.
Paix sur vous.
LW