« Bonjour à tous. Une petite question que je me pose… Je suis très très éducation bienveillante… mais j’aimerais savoir quels ados deviennent les enfants éduqués comme cela. »
Sur les groupes de discussion internet axés respect de l’enfant et parentalité positive, cette question revient régulièrement. L’espoir (ou la crainte qu’elle cache) est justifié : nous mettons de bons ingrédients dans la recette, normal que le gâteau soit délicieux.
En baignant dans notre environnement très médicalisé dès la grossesse, et de par l’influence des médias, de nombreux parents ne tardent pas à avoir des doutes sur leurs capacités à accompagner leurs enfants. On se voit proposer diverses méthodes pour nous y aider, l’avis des autres devient précieux voire indispensable, nous rassurant ou nous assurant d’être dans les clous, jusqu’à s’en torturer l’esprit par moments : « Est-ce bienveillant d’être bienveillant avec sa petite sœur qui dort, en disant à mon fils avec bienveillance d’arrêter de sauter dans la maison tout en n’étant du coup pas bienveillant avec lui vu qu’on privilégie la bienveillance envers sa sœur ? » pourrait-on caricaturer par un petit sarcasme tendre.
Etre « un parent bienveillant » semble être devenu une technique à part entière, rien que par l’attente des résultats qu’on peut en avoir.
L’intention d’apporter le mieux à notre enfant amène aussi quelquefois à errer sur un terrain glissant qui peut mener vers le non respect de soi-même : « Est-ce que je peux dire à ma petite fille d’être silencieuse quand je suis fatiguée ? Est-ce que je peux lui demander de se laver les mains pour qu’elle ne salisse pas le canapé neuf ? Est-ce j’ai le droit de ne pas avoir envie de jouer avec mon fils après ma journée de travail ? »
Il me semble important d’être bienveillant envers soi-même aussi, car dur de l’être avec autrui sinon.
On en arrive à s’arracher les cheveux de la tête chauve à force de se poser trop de questions. Zen, respire, tu fais de ton mieux pour respecter ton prochain et toi-même, en gardant à l’esprit l’intention positive que tu portes à l’un comme l’autre. C’est cela la bienveillance, ce n’est pas un pack reçu dans ta boîte aux lettres comprenant les goodies, la notice, le contrat à signer, les diplômes officiels et les garanties.
Au-delà de l’envie de respecter nos enfants, il arrive assez souvent que nous ayons, en utilisant la bienveillance, un espoir caché : l’espoir que « ça marche ».
C’est là qu’est censée intervenir la baguette magique. Car il faut se l’avouer, on a quelques attentes envers nos enfants, du genre éviter les cris et les disputes dans la fratrie, les colères et les chambres en bazar (et les légos® sous nos pieds nus au moment du bisou du soir), faire en sorte qu’ils nous aident à préparer le festin de Noël voire qu’ils le fassent à notre place, arriver à les faire se coucher assez tôt pour qu’on ait une soirée tranquille, qu’ils ne regardent pas la TV plus de 24 heures par jour, qu’ils mangent des salsifis farcis aux brocolis sauce épinard-chou de Bruxelles, qu’ils n’écartèlent pas le chat, et qu’ils ne disent pas « grosse conne » à la voisine même si elle a crevé leur ballon. Tout ça tout ça, et qu’ils soient joyeux de vivre en bonus, oui parce que quand même, ça serait chouette.
Bref, pleine d’espoir ce soir, sous vos yeux ébahis, je prends donc ma Baguette Magique de Bienveillance et je teste pour vous en direct si « ça marche ». Préparez-vous ça va déménager :
-« Mon Petit Trognon de Pomme, je suis fatiguée et j’ai besoin d’aide pour mettre le couvert. [Hop coup de baguette magique]
« -Nan ! Coupe court mon fils de neuf ans de derrière son jeu vidéo sans bouger.
Bon ben voilà, fin de l’expérience … Comment ça c’est déjà fini ? …. Ben oui : ça marche pas. La réelle efficacité serait d’aller vers lui et lui arracher des mains son jeu, l’attraper par le bras et le planter devant le placard en lui ordonnant : « Mets la table tout de suite sinon je te rends pas ta Console Machintructendo ! » Mais en tant que maman bienveillante en devenir, je vais passer alors plus de temps et d’énergie à remuer ma baguette pour vérifier si elle est cassée, pleine d’incompréhension, que si je mettais le couvert moi-même.
Je réalise donc que j’ai le choix entre respecter sa décision en pleurant devant mon évier, ou bien lui déverser ma déception agrémentée de toutes les couleurs émotionnelles qui voudront s’exprimer, ou encore vérifier si sa console de jeu pourrait être plus propre en la passant au lave-vaisselle juste pour voir héhé, et plein d’autres choses encore que mon cerveau raisonné préfère garder pour lui.
Finalement ça sera : « Tu sais je suis déçue car j’ai besoin de sentir que ma fatigue est prise en compte. Et tu as le droit de dire non. Il faut que tu sois prévenu que si je suis trop fatiguée je ne suis pas certaine tout à l’heure d’avoir envie de lire avec toi le prochain chapitre du roman plein de suspense qu’on a commencé, celui qui s’intitule Le mystère du souterrain hanté. »
Soudain mon fils a un énorme intérêt à prendre soin de sa maman et saute comme un diable hors de sa boîte à ma rescousse.
Difficile de trouver de l’empathie chez mes enfants parfois. Ils se sentent bien plus concernés quand ils perçoivent les conséquences du fait que mes besoins à moi ne soient pas comblés, voilà pourquoi j’aime bien les leur dire clairement.
C’est du chantage ? Je ne crois pas, car je suis ok avec le fait qu’il refuse d’accéder à ma demande. Je ne menace pas, j’informe des conséquences et il voit si elles lui vont ou pas. Il n’y a pas de mauvaise intention envers l’autre, ni de manipulation, juste de l’information : il pouvait très bien choisir de ne pas avoir sa lecture du soir, et moi j’aurais été ok pour du coup me reposer de ma journée plus tôt que prévu, donc par là-même, ok pour mettre la table par mes propres moyens.
En tout cas tout le monde est calme, pas de cris, et ni maman ni enfant ne sont frustrés ou en colère. Ma foi ça vaut le coup.
Ce qui a « marché » ici (j’ai obtenu ce dont j’avais besoin, et lui aussi), ce n’est pas le fait d’être « bienveillante » (ce qu’on pourrait voir de prime abord), mais d’avoir su défendre mes propres besoins tout en tenant compte des besoins de l’autre.
Finalement, c’est un fonctionnement gagnant-gagnant, qui n’utilise ni position hiérarchique, ni autorité sur l’autre. Il veut une histoire, je veux de l’aide, on est ok pour se rendre la pareille.
Réfléchissons un peu, qu’attend-on d’un enfant, d’un ado dont nous a été confiée la responsabilité de l’accompagnement ? Souhaitons-nous le modeler, le formater en enfant obéissant ? Ou bien plutôt lui laisser l’espace pour qu’il déploie ses ailes en toute sécurité et confiance ? Avons-nous besoin de démontrer aux yeux de tous que nous sommes des parents supers efficaces ? Préférons-nous que nos enfants aient la liberté de leurs choix et de l’expression de leurs émotions, pour qu’ils puissent expérimenter la vie et apprendre d’elle, même au risque d’être vus comme d’insupportables monstres mal élevés ?
Quel est notre but par nos choix éducatifs ?
Le rapport d’autorité envers mon enfant a toujours eu tendance à me rassurer (le contrôle, la maîtrise). Et tous ceux qui ont des enfants qu’ils dirigent en tant que chefs de la famille, savent à quel point on peut être horripilé quand ils hurlent de colère qu’il veulent partir loin très loin et qu’ils détestent leurs parents qui sont très très méchants plus méchants que la voisine qui a percé le ballon. Tous ceux qui ont des enfants savent comme il est facile d’hurler aussi pour faire taire, d’interdire ce qu’on ne veut pas entendre en oubliant d’écouter non pas les mots crus tels qu’ils sont, mais plutôt le message du besoin exprimé derrière… La position « haute » au-dessus de l’enfant assurerait le parent d’être « respecté », certes. On disait autrefois « craindre » ses parents, ce vocabulaire glorieux signifiait dans le langage courant « je les respecte ». Le rapport dominant-dominé donne de beaux résultats apparents, mais ce n’est plus ce que je veux, je connais les dégâts que cela peut engendrer et je ne me crois pas avoir le droit d’agir ainsi sur un autre être humain, quel que soit son âge. Bref, je souhaite plutôt circuler en double-sens dans une relation basée sur la confiance mutuelle et les droits de l’homme (qui doivent être aussi ceux de l’enfant), ainsi que la collaboration.
Je ne crois donc pas que la bienveillance soit une recette magique pour avoir tel ou tel ado ouvert, ou tel ou tel enfant calme. Je pense que l’Etre que l’on a en face de soi évolue à sa façon. Il peut être influencé positivement ou négativement par notre présence et notre fonctionnement, mais un nourrisson qui se réveille la nuit en hurlant peut continuer à le faire malgré des parents bienveillants, un enfant agressif pourra l’être malgré des parents bienveillants, un ado pourra avoir un comportement irresponsable à nos yeux malgré des parents bienveillants, un jeune adulte testera peut-être des produits illicites malgré des parents bienveillants…
On ne change pas les autres en marshmallow par la bienveillance. On les respecte, sans attentes envers ce qu’ils devraient être à nos yeux. La bienveillance ne crée pas des enfants soumis, ni parfaits, ni polis. La bienveillance ne crée rien du tout.
Pour moi elle n’est pas un outil, mais un état d’esprit qui ne doit pas excuser ni servir nos envies de domination sur l’autre quel qu’il soit, ni même nous porter à amener nos enfants où on veut qu’ils soient.
Et parfois la magie opère toute seule, sans baguette magique, sous la forme d’un enfant, habitué à s’énerver très vite, qui déclare soudain d’une voix posée à sa petite sœur : « Tu sais, je comprends que tu aies envie de prendre mon livre, et je préfère que tu me le demandes avant ». Il arrive que la bienveillance familiale ne tombe pas toujours dans l’oreille d’un sourd… Mais jetons cette baguette au feu et laissons vivre chacun sans chercher à le modeler à notre image ! Personne ne sait quels ados ou adultes ils deviendront, alors cherchons simplement à les laisser gérer leur vie, tout en mettant tout en oeuvre pour respecter la nôtre aussi.
Evelyne Mester.