La parentalité

Bienveillance parentale… la pyramide inversée ?

24 août 2017

[ Temps de lecture : 5 mn ]

Il nous arrive, dans notre volonté de vivre une parentalité positive, d’être totalement déstabilisés, en perte de repères. Nous nous sentons dépassés par nos enfants qui semblent avoir pris le pouvoir. Parents piétinés, enfants-rois, autorité inversée… tout cela est-il inévitable ?

Rik-Tidiane, 6 ans, est charmant, enjoué, vif. Et « il sait très bien ce qu’il veut », comme dit sa mamie, qui rajoute souvent « et il a bien raison ». Vi, elle, on la prive de sucreries à 95 ans en maison de retraite, parce qu’elle a un peu d’embonpoint, mon Dieu mais mourons bonbon en bouche plutôt que la taille fine, qu’elle pense.

Bref Rik-Tidiane, pour sa tante, est une terreur, un despote, un sale gosse mal élevé à qui on « passe tout ». Il veut mettre son pyjama bleu à rayures alors qu’on a sorti le vert ? Ben oui mon petit, mais bien sûr. Il refuse de goûter à la charmante blanquette de veau de Tata ? Oh tu n’aimes pas… tu veux un peu de dessert ?

Tata est rouge de colère quand elle voit ça, et elle se barre à la cuisine pour ne pas avoir à en supporter plus. Elle, ses gamins, elle les a matés comme il faut, pour leur bien. L’aîné est PDG d’une grosse boîte à Paris, la cadette est professeure d’université à l’étranger, et ils sont pas morts d’avoir reçu des paires de claques, c’est même pour ça qu’ils savent se faire aussi bien respecter par leurs employés et étudiants. Elle remballe sa blanquette et regarde l’horloge en anticipant le départ de ce petit inconvenant.

La maman indigne, elle, serre les dents et tout ce qu’il y a à serrer : elle stresse de percevoir la tension monter et sent que ça va lui retomber dessus. On va encore juger sa façon de laisser son enfant libre de gérer ce qui le concerne et la prendre pour une mauvaise mère laxiste. Elle voudrait juste passer un moment de chaleur et de partage autour de cette table, et qu’on lâche les basques à son Rik-Tidiane. Qu’il bouffe un quignon de pain ou bien de la feuille d’or sur un dôme chocolaté de chez Byzance Pâtisseries de Luxe, elle n’en a sérieusement rien à foutre (ça finira tout pareil de toute façon, en offrande à Sa Sainteté l’Égout).

C’est ce moment de ses réflexions que choisit son rejeton pour interpeller sa tante qui vient de lui jeter un troisième regard furibond :

-« Ben quoi, j’ai bien le droit de manger ce que je veux, non ? C’est mon corps ! »

…Silence en apnée. Arrêt sur image. Y a un bug…

Comme dans ces films où la caméra tourne autour des personnages immobiles. Chacun attend, sur une mélodie envoûtante d’Ennio Morricone… Il DOIT se passer quelque chose, même si on a aucune idée de quoi… Ça sera peut-être un ordre, une punition, une injonction, un soutien, des excuses, une blague, un nouveau plat, le retour du messie. Les pensées volettent en une fraction de seconde :

La mère : « Oulà ça lui a fait un choc à la tante. Est-ce que je suis censée avoir honte du comportement de mon fils ? Je trouve qu’il a raison de s’affirmer en tant que personne. Faudrait peut-être qu’il apprenne à exprimer sa pensée de façon plus acceptable. Mais bon c’est un gamin, je suis pas sûre que moi adulte, si ma voisine de resto me méprisait parce que j’ai laissé quelque chose dans mon assiette, elle ne finirait pas par recevoir un pain (dans tous les sens du terme) dans la tronche. »

La tante : « Quoiiii ? ? ? Mais quel petit merdeux de mes couilles que j’ai pas ! ! Je m’en vais te le claquer pour lui apprendre le respect ! Sous mon toit, en plus ! Et sa mère qui bouge pas d’un pouce, comme d’habitude, nan mais je rêve ! ! ! Il va la mener par le bout du nez quand il sera ado, vous allez voir, il va l’écraser ! Haha on va bien rigoler ! »

Le gamin : « Bon, sérieux, marre que les adultes décident de ce que j’ai envie de mettre dans mon estomac. Ils croient qu’ils ont des droits sur les enfants parce qu’on a un corps plus petit ? Et j’en ai marre des repas à rallonge, j’ai envie d’aller jouer dans le jardin avec le chien, moi ! »

Tata bouillonne et ça y est elle explose en tapant sur la table : « T’es qu’un mal élevé, t’as pas à me répondre, c’est pas toi qui décides ! »

Rik-Tidiane repousse immédiatement sa chaise bruyamment et hurle : « J’en ai marre de cette maison de crotte, je reviendrai plus jamais ! » Il se lève et claque la porte en s’échappant rejoindre le chien.

Décidément, la bienveillance éducative fait de drôles d’enfants… Dans l’temps, les enfants n’auraient jaaaamais osé parler ainsi aux adultes. On les craignait ! On se prenait une rouste mémorable et on risquait pas de recommencer.

Certes, c’est probablement vrai.

De nos jours ils se croient tout permis, il faut rien leur dire, ne pas les froisser, pauvres petits en sucre. Voilà ce que ça fait : des rois du monde qui écrasent les autres, c’est tout pour eux, ils n’écoutent rien et n’en font qu’à leur tête et rient au nez de tout le monde, aucun respect. Bientôt ils nous donneront des ordres !

Oui ça se peut, surtout à mon avis si on continue à leur en donner autant.

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Derrière la décision d’appliquer la bienveillance éducative, un changement de paradigme devrait intervenir, mais on ne le sait pas toujours.

Il peut arriver de penser que la « parentalité positive » consiste uniquement à appliquer des « outils » d’écoute ou de communication, et à perpétuellement « prendre sur soi » pour accepter tout ce que l’enfant désire au risque de s’oublier soi-même, jusqu’à créer un inversement pyramidal : au départ les parents, du haut de la pyramide, dirigeaient l’enfant, et soudain c’est l’enfant depuis là-haut qui dirige ses parents. Et on n’a plus qu’à admirer l’ampleur des dégâts de ce qu’on croit être la « bienveillance » et se ruer à nouveau sur le fonctionnement de départ pour se rassurer et reprendre les rênes-bordel-de-merde passez-moi l’expression.

Naaaaan, comment être bienveillant envers les autres alors que nous piétinerions ainsi nos propres besoins et limites ?

Une manière de voir les choses consisterait plutôt à observer l’enfant sous un nouvel angle, sans faire intervenir de fonctionnement dominant-dominé (dans un sens comme dans l’autre), en visant un équilibre familial précaire, comme lorsqu’on cherche le centre de gravité en se balançant sur sa chaise.

Voir l’enfant sous un jour nouveau… Et si notre enfant était un invité venu d’ailleurs ?

Quelqu’un qui ne connaîtrait pas les us et coutumes d’ici, quelqu’un qu’on pourrait respecter à travers sa différence, à qui on pourrait porter de l’intérêt pour découvrir qui il est, sans lui imposer notre mode de vie mais en le lui faisant découvrir en douceur, en acceptant qu’il fasse autrement, qu’il s’adapte progressivement s’il en a envie ?

Comment vous sentez-vous quand vous imaginez quelques secondes que votre enfant est un invité ? Cela change tout, n’est-ce pas ? Cette vision peut servir de guide lorsqu’on décide d’être ce qu’on appelle un « parent bienveillant ».

Ok mais comment éviter que l’enfant se croie « tout permis », qu’il ne profite de la situation pour décider de tout, que l’on se retrouve à courir partout pour le satisfaire ? Ne va-t-il pas devenir notre chef et nous devoir lui obéir pour ne pas le froisser ?

Je répondrais par une autre question : si votre visiteur étranger agissait comme cela chez vous, que feriez-vous ?

Le parallèle est facile, mais nos enfants se comportent-ils aussi respectueusement que des invités le feraient ? Certes, pas toujours. J’aurais envie d’ajouter : « et cela ne nous appartient pas ». Nous pouvons arriver à contrôler en partie le comportement de nos enfants pour les rendre dociles à ce qu’on leur demande : un des moyens serait d’user de punitions, de cris, d’intimidations, d’interdictions.

Ou nous pouvons accepter que leurs us et coutumes soient assez déroutants et essayer d’entrer en contact avec eux pour découvrir leur fonctionnement, et partager le nôtre sans l’imposer. Il est à ce stade primordial d’être au clair avec soi-même et de savoir dire de façon pacifique à notre enfant ce qui nous dérange, pour être garant de cet équilibre fragile et expérimental, de chaque côté.

Ce qui nous appartient je pense, ce sont les moyens que nous mettons en place pour arriver à entretenir ce pont mouvant entre eux et nous. Agir au quotidien avec l’intention de maintenir en priorité la relation, dans la considération mutuelle, c’est cela pour moi l’accompagnement parental bienveillant.

Evelyne Mester.

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