Chapitre 1 – Dans les entrailles de T.

« Ne-te-rends-pas-dans-la-fo-rêt-mau-dite ! Combien de fois te l’ai-je dit, pourtant ? Avec ta pauvre jambe clopinante ! Et les sorcières, les oublies-tu les sorcières ? Mais enfin, ma petiote, que trouves-tu là-haut, pour y passer tout ce temps ? Tu attires le mauvais oeil sur tout le village ! »

Le son lointain de la corne qui m’appelle me parvient étouffé dans la brume orangée. Le temps de redescendre à Kavachel par le sentier escarpé et je serai encore en retard pour le souper. Essoufflée, les cheveux imprégnés de sueur et perdue dans mes pensées, j’aurai encore droit à cette fameuse rengaine que je connais par coeur. Gnia gnia gnia, pfff, « forêt maudite », penses-tu ! De toutes les façons, quelle malédiction pourrait bien être pire que la mienne ? Que je grimpe jusqu’à ce promontoire rocheux en serrant les dents, ou que je reste immobile au coin du feu, j’ai la souffrance pour amie depuis si longtemps… Ah ma mère, si elle pouvait enfin comprendre cela, miasme de rouissage ! Oui oui, je dis de vilains mots, ce n’est pas beau dans la bouche d’une enfant, paraît-il, ils m’épuisent tous avec leur morale, je parlerai comme je veux !

La fillette se gratta le front en tentant de coincer une énième fois sous sa capuche verte la mèche rebelle que la brise du crépuscule avait délogée.

Je les aime bien, au fond, mais je rêve de partir pour toujours. Quelque chose m’attire ailleurs, je ne sais quoi.

L’enfant regarda la plaine et les minuscules chaumières de son village qui s’allumaient les unes après les autres, bordant l’océan d’autant d’étoiles sautillantes. Ah l’océan… calme, immense, libre ! Du haut de son rocher surplombant la vie, la mélancolie la prit. Elle frissonna. Des larmes silencieuses réchauffèrent tendrement ses joues. Ce soir-là, la douleur submergeait la petite fille plus que jamais, écartelant sa chair et son être entier. Elle aurait tout donné pour rester passer la nuit au clair des lunes dans les bras de ces arbres soi-disant si menaçants, mais elle allait rentrer, comme toujours. Une angoisse imprévisible la mordit à la gorge en cet instant précis : et si c’était la toute dernière fois qu’elle foulait son refuge ? Si, pour une quelconque raison, jamais plus elle ne pourrait remettre les pieds ici ?

Elle s’essuya les yeux d’un revers de main glacée et fixa l’horizon en entamant la descente. Comme elle aurait aimé sortir de son corps ! Ne plus sentir ces aiguilles acérées dans son mollet à chacun de ses pas, voler comme un aigle dans le couchant irisé, aller voir derrière ce perpétuel voile de poussières ce qu’il y a plus loin, très loin…

*

J’essaye de pousser la lourde porte, ma mère accourt pour m’épargner cette peine. Elle se penche et dépose un baiser sur mon crâne trempé, me demande si je n’ai pas fait de mauvaise rencontre, retire mon manteau parsemé de brindilles et me sert les remontrances attendues en m’accompagnant au baquet laver mes mains terreuses. Je sais pourtant que depuis le temps, elle s’est habituée bon gré mal gré à mes escapades en solitaire. Il lui a fallu accepter qu’elle ne pourrait jamais les empêcher. Mes frères se disputent. Je ne voudrais voir personne, je voudrais juste mon espace, je voudrais juste rester dans mon monde. Mais elle a cuisiné des frouches dorées et soudain mon sourire à ce parfum fleuri lui donne raison, comme toujours : le bonheur est fait de détails insignifiants qui, mis bout à bout, ont l’effet magique de faire s’évaporer la moindre question parasite qui nous pourrit l’existence…

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SOMMAIRE

PRÉSENTATION DU ROMAN

© Dans les entrailles de T – Lise Witzmann.

[Texte et images sous copyright. Excusez les images qui ne collent pas très bien au texte,
c’est juste pour donner un tout petit peu l’ambiance, mais parfois c’est bien tiré par les cheveux ^^.]

 

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  1. J’aime beaucoup ton écriture claire, poétique et sensuelle. Il y a juste des mots dont je ne capte pas le sens : « miasme de rouissage » et  » frouches dorées »…
    et il y a ce bout de phrase que je formulerais un tout petit peu différemment, tu écris : « Je ne voudrais voir personne, je voudrais juste mon espace…. » moi à ta place je déplacerais le « ne » : « Je voudrais ne voir personne…. »
    Je suis bon public par défaut et j’aime déjà ton écriture….donc évidemment tu m’as embarquée dans l’univers de ton livre et j’ai envie de lire la suite…. d’ailleurs j’ai hésité à commencer la lecture en me disant que je pourrais vouloir éviter la frustration de devoir attendre une semaine pour la suite … Mais quand j’ai lu à quel point tu attends nos retours, cela m’a décidée, par solidarité «  »professionnelle » ». J’écris moi aussi depuis mes 10 ans, là je suis une formation en ligne pour devenir biographe… cela m’ôte divers obstacles à l’écriture…. même si bien entendu il y en a d’autres… J’ai des amies qui ont manifesté leur envie de raconter leur histoire….mais elles ne semblent pas prêtes en ce moment… Et pour essuyer mes plâtres je pense avoir besoin de la sécurité selon moi que m’offre une relation amicale….en même temps je n’ai pas encore bouclé ma formation !

    1. Hello Delphine, merci pour tes retours et partages. Je suis heureuse d’avoir ton ressenti à cette lecture, c’est très gentil de ta part.
      A ce stade je ne modifie plus mon texte (je comptais sur les corrections proposées par la maison d’édition, mais ce seront les corrections d’un-e correctrice indépendant-e probablement, en auto-édition plus tard ^^.
      C’est normal que tu ne comprennes pas tout, mon livre est construit sur la découverte progressive de l’univers dans lequel évoluent les personnages. Ça peut être une bonne idée en effet d’attendre que plusieurs chapitres soient dispos pour le lire, ça s’enchaînera mieux.
      Je te souhaite plein de belles choses à toi aussi dans cette sphère littéraire ! Au plaisir,
      LW

    1. Juste envie d’ en savoir plus. Pourquoi ces aiguilles dans son mollet, quelle âge a t elle, où se situe l histoire :et à quelle époque (à cause de l histoire de sorcière et . à t elle un papa? quelle est cette souffrance qu elle ressent etc…