La parentalité dite positive continue à toucher le cœur de très nombreux parents, qui enfin abandonnent progressivement des comportements à visée disciplinaire et cherchent à mieux comprendre et respecter leurs enfants en utilisant des méthodes éducatives plus douces.
Au milieu de cette « bienveillance », un garde-fou incontournable reste néanmoins solidement en place : la fameuse « chasse au laxisme ».
Cette veille anti-laxisme consiste à nous proposer d’entendre nos enfants mais surtout sans leur laisser tout faire. Nous devons accueillir leurs émotions mais les envoyer sur la chaise de retour au calme. Il nous faut écouter leurs besoins mais les faire tout de même obéir, ou encore les aimer inconditionnellement mais les faire changer de comportement. Il nous faut les aider à s’épanouir mais leur fixer un cadre et des limites.
On nous dit à demi-mots : « lâchez les rênes, mais pas trop, sinon c’est votre enfant qui les prendra et là, gare à la catastrophe, vous êtes finis, piétinés, écrabouillés ».
Depuis des siècles, la pensée comme quoi l’enfant est un potentiel monstre à contenir et à modeler pour en faire quelqu’un de respectable et d’adapté à la société est toujours là, même si elle est amenée plus en douceur qu’autrefois : « parents, il est dangereux de trop respecter votre enfant, nous dit-on. Le laisser libre est une violence éducative car il doit apprendre à s’adapter à la société, il a besoin d’être éduqué et cadré pour qu’il sache choisir le bien et non le mal. »
« Le bien » selon nos critères d’adultes accomplis, bien entendu, nous-mêmes éduqués par d’autres adultes qui appliquaient leurs propres critères et ainsi de suite.
Il suffit de voyager un peu, même au moyen d’Internet, pour découvrir que les critères déterminant qu’un adulte est accompli sont différents d’une partie du monde à l’autre, d’une culture à l’autre. Les coutumes sont en effet parfois opposées, mais nous nous devons, puisque nous habitons en France, de suivre celles de notre pays. Par exemple, ne pas dormir avec son enfant est inimaginable chez certains peuples à l’heure actuelle, et chez nous les services sociaux nous ont dans le collimateur si c’est le cas.
Éduquer est faire correspondre nos enfants à la norme en vigueur de l’époque et du lieu où ils vivent.
A y réfléchir, c’est assez étrange, car a priori le nourrisson ne choisit ni l’un ni l’autre quand il arrive sur Terre et peut-être que le mode de vie qui va lui être imposé sera à mille lieux de ce qui le rend heureux, épanoui, confiant, accompli… Mais voilà, aux yeux de la société, le critère important n’est pas le ressenti de l’enfant sur sa propre vie, ni ses propres désirs, mais le regard du voisin, de belle-maman, du maître d’école, de l’éducatrice, du policier, de la docteure en psychopathologie ou du président. Ainsi que le regard sur nous en tant que parent : sommes-nous de bons parents ?
Pour moi ce qui serait violent ce n’est pas de suivre l’envie de l’enfant dans ses apprentissages et son rythme de vie quotidien, ce serait plutôt de ne pas se préoccuper de son enfant : vivre à côté de lui sans le regarder, sans lui parler, sans s’intéresser à lui, sans l’aimer. C’est une maltraitance à proprement parler, avec des conséquences physiques et psychologiques.
Ce qui est plus courant, ce sont les « douces violences » (comment une violence peut-elle être douce ?) perpétrées au nom de cette « éducation » : obliger l’enfant à obéir à ce qu’on lui ordonne de faire ou ordonne d’être, en annihilant sa propre volonté et son propre discernement.
Vouloir éduquer, c’est pour moi se mettre en position de celui qui sait, qui détient la vérité. Or qui peut réellement prétendre la détenir ? Et qui peut réellement assurer qu’elle rendra heureux l’enfant qui nous est confié ?
Mais le but de l’éducation est-il vraiment de rendre heureux notre enfant ?
A vouloir le faire coller à la norme (la nôtre ou celle de la société), en cherchant à le faire entrer dans la vision de l’adulte qu’on souhaite qu’il soit plus tard, nous pourrions empêcher notre enfant de révéler qui il est déjà, maintenant, aujourd’hui : un être complet et non pas « en construction », du moins pas plus que n’importe quel adulte qui continue, je l’espère, à évoluer toute sa vie. Un être passionnant à découvrir, dès aujourd’hui, et enrichissant pour le monde, dès aujourd’hui aussi, quel que soit son âge et « le stade d’évolution de son cerveau ».
Si vous arrivez à vous détacher de ses quelques impolitesses, ou de la honte qu’il soit un peu différent de ce qu’on attend de lui, vous pourrez constater que votre enfant vous apportera bien des choses précieuses pour vous aussi, à commencer par une relation où le lien n’est pas basé sur la crainte, mais sur l’empathie et la considération mutuelles.
Accompagner nos enfants dans leur recherche de bonheur quotidien comme une priorité, tout en sachant trouver le nôtre, pourrait être une nouvelle proposition de définition de notre présence auprès des enfants, de notre fameux « rôle de parents »…
Son rire et sa joie ne sont-ils pas bien plus précieux qu’une demi-heure de sommeil de plus dans sa nuit ? N’oublions-nous pas de faire la rencontre de cet être humain dans le présent, sous prétexte que nous voulons en faire un adulte convenable ? Un enfant qui sait maintenir des relations saines avec les autres, par une bonne connaissance de lui-même, de ce qu’il vit en lui, par l’usage d’une bonne communication, de l’écoute, de l’empathie, ne sera-t-il pas un adulte plus « convenable » que celui qui méprise tout le monde mais a une excellente situation financière ? Un splendide bulletin scolaire, au prix de longues heures de fâcheries, est-il préférable à un enfant épanoui et heureux de vivre qui aurait de piètres résultats ?
Et en tant que coachs et formateurs, nous sommes très souvent dépités de constater le nombre d’adultes qui n’ont pas confiance en eux, qui n’ont pas d’estime d’eux-mêmes, qui ne savent pas ce qu’ils ressentent, ni ce qu’ils veulent, ni qui ils sont… Ils n’ont jamais pensé à considérer leurs besoins comme légitimes, ne savent pas les détecter, ni les exprimer, et encore moins les défendre sans culpabiliser.
Qui, une fois adulte, est vraiment lui-même, fier de lui, conscient de sa valeur sans écraser les autres ? Sont-ils nombreux ceux qui savent communiquer leurs émotions de manière fluide et naturelle, et recevoir celles de leur entourage ? Sont-ils nombreux, les adultes qui savent régler les conflits en mode gagnant-gagnant, qui n’ont pas besoin de crier après leurs enfants pour que leurs propres besoins soient aussi comblés, qui savent prendre soin sans imposer à l’autre leurs volontés ?
Nous avons tellement été pris en charge depuis tout petits, que nous ne savons pas fonctionner émotionnellement, affectivement, psychologiquement et parfois physiquement sans avoir pour boussole le regard des autres.
Toutes ces compétences qui je pense seraient tellement plus utiles, indispensables dans notre vie, ne sont pourtant pas la base de ce qu’on nomme « l’éducation ». Nous en restons à simplement juger à la place de nos enfants et leur demander d’agir en fonction de nos jugements.
Est-ce que prendre soin de son enfant est forcément lui dire que faire ou ne pas faire à longueur de journée ?
Oui nous pouvons surveiller les dangers autour de lui, le prévenir, l’entourer pour sa sécurité, c’est aussi ça vivre avec une personne qui n’a pas les mêmes capacités physiques ou psychiques, comme nous le ferions avec une personne handicapée.
Mais est-ce que prendre soin de l’autre signifie lui imposer notre vision du monde comme étant celle dans laquelle il doit entrer, en le coupant de son propre jugement sur sa propre vie quotidienne ?
Pour aller plus loin, nous vous proposons des outils et accompagnements gratuits sur notre chaîne Youtube.
Lire aussi : « Je refuse d’être un exemple pour mes enfants ».
Vous pouvez retrouver ce message bien plus étayé dans mon livre Mon enfant mon égal.
Evelyne Mester