La parentalité | Regards sur soi-même

Et un jour, on se retrouve avec la famille qu’on ne voulait pas.

17 juin 2019

 

Alors au début quand ils sont petits, ça va, facile de les amener dehors voir une coccinelle, easy de leur proposer un tour à vélo plutôt que la télé. Mais ensuite, même quand on n’a pas été libertaire depuis le début (et surtout si), les enfants finissent par se faire entendre haut et fort : non ils ne veulent pas aller rendre visite à Tata Alphonsine, et ils n’iront pas. Ce qu’ils aiment faire, c’est rester glander à la maison sans bouger du canapé ou de leur chambre. On va leur gâcher leur week-end, et leur vie entière par la même occasion si jamais ils y vont.

Zut, moi qui attendais le week-end pour faire plein de trucs sympas avec eux, des sorties ludiques, de belles balades…
« -Mais Maman, les trucs sympas pour toi, ils sont nuls pour nous ! On n’est plus des bébés ! »
Ah oui ok, je suis bête, moi j’ai pas évolué hein, j’aime toujours regarder les feuilles des arbres bouger, j’aime toujours sauter dans un lac frais quand je crève de chaud, j’aime toujours grimper en haut de la colline pour crier ma liberté les bras en croix, j’aime toujours sentir le sable glisser entre mes doigts, j’aime toujours m’allonger côte à côte en souriant sans rien dire… Mais eux ont « grandi ».

Bon pfff c’est pas cool, c’est passé un peu vite la période de partage d’activités en famille.

Certains diraient même que c’est de plus en plus tôt que ça s’arrête, de nos jours. Qu’autrefois c’était pas les mioches qui décidaient, ils venaient et puis c’est tout, et ils étaient toujours très contents ensuite. Nan mais c’est sûr, c’est à cause des écrans, ça !

Je pourrais les forcer, mais j’ai décidé que je n’avais pas le droit. Je détesterais qu’ils me forcent eux aussi.

Ça se trouve, si j’étais fan d’ « écrans » et eux de nature, j’en aurais juste ma claque de devoir supporter un trajet en voiture qui m’emmène faire ce qui me répugne, puis sentir ma peau brûler au soleil, me faire piquer par les insectes, devoir m’extasier devant un paysage dont j’ai rien à foutre et avoir les pieds qui transpirent dans mes baskets pendant que mes jambes commencent à trembler de fatigue. Tout ça pour quoi ? Rien du tout ! Pour « sortir », parce que c’est bon à la santé, et surtout parce que Maman l’a décidé !

Forte de la conclusion que j’ai tirée de tout ça, j’ai abandonné l’idée d’emmener les enfants en balade. Mais je n’ai pas renoncé à y emmener mon compagnon. Et bien ça ne marche pas non plus. Il a l’air tout de même plus enclin à me faire plaisir, d’ailleurs je ne sais par quel miracle il est plus bienveillant envers moi que la chair de ma chair, mais le pauvre, je sens bien que c’est pas son kif.

Alors parfois je suis découragée, parfois je suis révoltée, parfois je m’énerve et parfois je vois tout en noir : pourquoi mon rêve de famille idéale ne s’est-il pas réalisé ? Et pourquoi ce qui est le plus important pour moi, les liens entre les humains entourés des petits oiseaux, n’est-il pas partagé par mes êtres les plus chers ?

Et puis je vois alors passer la famille Canetons et ses dix enfants de 3 à 17 ans à la queue leu leu chacun son vélo avec le sac à dos/casquettes/lunettes, et là j’ai des pensées coupables : « mmmmh ces gamins on leur a pas demandé leur avis et résultat : les parents ont la vie familiale qu’ils souhaitaient !  Ah ben tiens c’est chouette de respecter mes enfants, si c’est pour y perdre autant dans l’histoire ! »

Franchement, pas facile de laisser sa liberté d’être à l’autre, et encore plus difficile quand il s’agit de son rejeton qu’on est censé avoir eu le droit de modeler à sa guise depuis la naissance, parce que c’est bien un peu ça qu’on sous-entend par « éduquer »…

Parfois ça m’arrive de me dire que j’ai perdu beaucoup de ma liberté en la laissant aux autres, et en vrai, pourtant ma liberté est toujours là : je peux aller en forêt seule, je peux trouver d’autres personnes qui aiment les randonnées, je peux partir tout un week-end à la découverte d’une région et je peux aussi passer quelques minutes sur le banc du parc à humer l’air doux du printemps sourire aux lèvres. Mais voilà, ça ne me remplit pas.

Oh j’ai communiqué clairement mes besoins hein, ils ont été entendus, mais mes enfants aussi ont leurs propres besoins et ils n’ont pas eu envie de remplir les miens à leur détriment.

Je ne sais pas vous, mais je m’étais juré que dans ma famille on serait comme ci ou comme ça, pas comme dans la famille des voisins, ou pas comme dans la famille que j’ai connue moi enfant. On passerait de supers moments ensemble, personne n’aurait jamais envie de télé ou de jeux vidéos parce qu’on serait tous fans du soleil et des papillons, on se soutiendrait et s’entraiderait en trouvant des solutions aux problèmes de chacun lors de réunions familiales spontanées auxquelles tout le monde viendrait avec empressement, ce serait comme un cocon où on est en sécurité absolue, personne n’y ferait jamais aucun mal à l’autre, on se respecterait, les enfants seraient joyeux, rieurs, toujours prêts à aller à la piscine, toujours heureux à l’idée de passer des vacances en famille, toujours prêts à ranger leur chambre, toujours d’attaque pour faire leurs devoirs, toujours volontaires pour vider le lave-vaisselle, s’aimant d’amour fou entre eux. Peut-être que j’ai cherché à créer magiquement à l’extérieur de moi une sorte de deuxième « moi intérieur » ? Ou peut-être aussi que j’ai trop regardé La petite maison dans la prairie quand j’étais petite. En plus je ressemblais à Laura avec mes tresses.

Et un jour, on se retrouve avec la famille qu’on ne voulait pas… Parce qu’on a juste oublié un détail : les autres ne sont pas nous-mêmes. Même ceux avec qui on a choisi de vivre. Même ceux qui sortent de notre ventre.

Je vois alors plusieurs choix possibles, mais allons aux deux extrêmes :

-soit on maîtrise et contrôle tout son entourage, famille, mari/femme, enfants pour les forcer à coller au plus près de la vision de la famille qu’on avait avant d’en créer une ;

-soit on laisse les membres de sa famille libres de créer leur vie dès leur naissance et on se retrouve avec une famille qui ne ressemble plus du tout à ce qu’on espérait.

Il reste tout de même une autre option, la chance ultime mais qui peut toujours arriver, pourquoi pas, y en a bien qui gagnent au Loto :

-soit tous les membres de la famille ont la même vision de la famille que nous et ils sont tous parfaitement d’accord pour coller à ce que nous imaginions.

Est-ce qu’on crée une famille pour soi, ou est-ce qu’on crée une famille pour… euh… ben je sais pas… pour amener plus de personnes sur Terre, pour proposer de nouveaux cerveaux et bras pour faire bouger le monde, pour y déposer des gens heureux, ou pour faire joli sur la surface de la planète ? Non, à y réfléchir je pense qu’on crée bien une famille pour soi, et parfois / souvent pour son conjoint aussi.
Je pense que la plupart du temps on ne se pose pas cette question, on la crée, cette famille, c’est tout, parce que c’est dans l’ordre des choses / parce que l’horloge biologique tourne / parce qu’on perpétue l’espèce par instinct / parce qu’on a envie de voir ce que toi+moi peut donner et que ça-serait-tellement-beau-de-voir-notre-amour-commun-prendre-cette-forme-là … une projection de nous deux, en somme…

Pourtant, en fin de compte, ce que je souhaite ce n’est pas que chacun fasse ce que je veux, mais de pouvoir remplir mon réservoir affectif par du temps nourrissant en famille. Normal, pas vrai ? Vous aussi ?

Mais est-ce que j’ai le droit d’imposer mes propres critères pour y parvenir ? Ou est-ce que je peux m’ouvrir à d’autres chemins pour ça ?
Combien de fois m’a-t-il été proposé de jouer à un jeu vidéo, de regarder un film, ou de faire un jeu de société par un membre de ma famille ? Ma réponse : « ouais bof, pas trop envie… »
Ben voilà, CQFD, les autres aussi ça leur fait « ouais bof » quand je leur propose d’aller se promener.
Et je suis sûre, pourtant, qu’on va pouvoir découvrir sur quel terrain commun se retrouver.

Mais …et si ce n’était pas le cas ?

Peut-être que c’est le moment pour moi, alors, de construire de nouveaux sens à ma vie… Quand on n’a vécu que pour et par sa famille depuis quelques années déjà, il est parfois difficile de réaliser qu’on gagnerait à vivre libres et indépendants nous aussi…

Evelyne Mester.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *