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Je demande à fiston de venir manger.
Filston balance tout dans sa chambre en hurlant. Les canettes vides de boisson rebondissent bruyamment sur le mur, les feuilles de dessins prennent leur envol épouvanté, les stylos-fusées procèdent à un atterrissage en urgence dans des circonstances catastrophiques. La dernière victime et pas des moindres, reste le sac de piscine de sa sœur que je viens juste d’accrocher au porte-manteau (le sac, pas la sœur), et qui, avouant avoir peu suivi les cours de natation, fait un plat lamentable sur le carrelage (on parle toujours du sac).
Je sens en moi monter en un quart de fraction de seconde la plus piquante des moutardes à mon nez, mon sang devient incandescent, mes pupilles fluorescentes, du fin fond de mes entrailles remonte dans un grondement sourd une colonne d’air vicié qui se prépare à propulser par une quelconque chimie magicienne le plus terrible cri strident que la terre ait jamais porté….la luette se carapate de frayeur anticipatoire………aaaAAAHHH-H-H-H-HHHHHH ! ! ! !……..
NON ! STOP STOP STOP ! Ce jour-là ça ne s’est pas passé comme ça, justement. La colère n’est pas venue.
J’ai regardé Filston d’un air clair les yeux écarquillés et suis restée figée par tant de violence, incrédule. « Ben alors, qu’est-ce qui t’arrive ? »
-« J’en peeeeux plus, tu m’as fait rater ma tour en Kapla, elle s’est écroulée, je vous déteste tous, vous êtes tous méchants avec moi, tu es la plus méchante des mamans ! »
-« Ah ? Je suis méchante parce que je t’ai appelé à table pour te servir tes cordons bleus préférés ? » [#limite sarcasme, ouais avouons : on peut faire mieux]
-« (. . .) »…et sourire.
N’empêche la prise de conscience est soudainement là chez Filston, il est descendu de son nuage noir devant tant de pragmatisme qui fait écho en lui : il aime les cordons bleus, et maman finalement est trop cool.
-« Bon viens on la refait ensemble ta tour, tu veux ? Et on va manger. Ah, pense à remettre le sac en place s’il-te-plaît. »[bon, le reste aussi, mais ça viendra plus tard.]
Fin de l’épisode, Maman n’a pas mal à la gorge d’avoir crié, Filston est revenu dans ses baskets.
(Morale de l’histoire, la malbouffe c’est bof mais les cordons bleus c’est prioritaire à avoir dans son frigo. Nan j’rigole)
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Ma colère est moins au rendez-vous depuis quelques temps. Ce n’était pas faute d’avoir « travaillé dessus » pendant de nombreuses années. Je suis passée par les stades de déni de ma colère, de déresponsabilisation (« ils me poussent à bout »), de détournement (« on respire ça va passer »), d’écoute de mes émotions, de symbolisation de ma colère par un objet, et bien d’autres choses encore, sans succès flagrant.
Mais ces derniers temps, je suis plus en paix avec moi-même, je travaille beaucoup en développement personnel, je connais une remontée d’estime de moi, ce qui me permet d’être moins affectée par la violence environnante. Essayez d’être en colère quand vous venez d’apprendre la meilleure nouvelle de votre vie, par exemple…
Pour moi, prendre soin de soi est le meilleur moyen pour que cette colère ne surgisse pas tel un monstre tapi à l’improviste ou presque.
Mais il n’y a pas que ça. J’ai découvert, puis intégré une nouvelle vision de l’Autre plus « horizontale », sans rapport de pouvoir, et les choses ont progressivement bougé. Quand mon enfant criait sur moi, je me sentais totalement agressée, envahie, et touchée, donc mes crocs sortaient, mes griffes aussi (ou vice versa). Et je criais plus fort que lui, jusqu’à ce que j’aie le dessus en le dominant en insistant bien sur la détestabilité de son comportement.
Aujourd’hui j’ai remis la responsabilité des ressentis à leur place propre. Mon fils me hait ? Ça lui appartient. Je ressens une envie de violence envers lui ? Ça m’appartient. Même si j’ai été ou lui a été le déclencheur de ces émotions.
Il a de bonnes raisons pour ressentir ça et j’ai de bonnes raisons, chacun a ses raisons, et chacun a raison. Ça ne vaut pas le coup, donc, de chercher à avoir le dernier mot, on dit ce qu’on a à dire, on souffle un moment, on parle à froid, et on trouve un terrain d’entente pour régler le litige, quelque chose qui convient à tous les deux, une solution qu’on n’avait même pas envisagée mais qui apparaît comme ça, complètement loufoque parfois, mais hyper appropriée.
Ça paraît super youpie cool trop facile. Ben ça risque pas. Il a fallu déjà intégrer l’idée que mon enfant quel que soit son âge s’exprime de façon violente car il n’arrive pas à faire autrement sur le coup. Ça m’arrive tellement aussi. Il a fallu intégrer l’idée que moi, si je suis en colère, je pourrais arriver à faire mieux que de me laisser aller totalement à mes impulsions : j’expérimente quotidiennement à quel point simplement le fait de lui dire « ggggr je me sens suuuper en colère ! » est tellement plus efficace et économe en énergie que de péter un boulon. Je n’aurais jamais cru que ça me suffirait :
Hurler était une manière de faire entendre mon appel au secours, alors que « dire » est en fin de compte juste parfait.
« Dire » de façon convaincue, en utilisant le « je », donc en prenant la responsabilité de mon ressenti, sur un ton énervé si j’en ai besoin, eh bien c’est pour moi comme une formule magique : mon fils fronce les sourcils, il m’a entendue et je me sens prise en compte, car il ne peut contester les faits, qui se cantonnent à nommer mon émotion. Elle m’appartient, donc est incontestable. Il ne se sent pas accusé comme dans le cas où j’aurais déclamé « TU m’énerves, TU es vraiment chiant ! », ce qui n’aurait pas manqué de provoquer sa révolte puissance dix.
Bref, ne pas être contredite me calme royalement.
J’ai appris à ne plus me sentir menacée par ses cris ou autres noms de rapaces. Car ce n’est pas à moi que cela s’adresse en vrai : il dit simplement comment il se sent à cet instant précis. Une énergie envahissante lui trouble la vision (il est « en transe ») et un quart d’heure plus tard, c’est le même enfant qui a oublié ce passage aussi vite qu’il est arrivé, qui me lance gaiement en jouant : « C’est qui la maman que j’aime ? C’est Mamaaan ! »…
Donc en pleine crise de colère de mon enfant, je me sens de plus en plus détachée et paisible. Je sens de la compassion en voyant dans quel état désagréable il se trouve, et je respecte son besoin de se couper de moi un moment en créant de la distance et refusant la communication.
J’essaie de lui glisser quelques mots d’empathie et s’il les accepte, la discussion plus modérée s’enclenche. S’il les refuse, je le laisse se calmer en me prenant une porte dans la tronche, et je sais que nous aurons l’occasion de reparler de tout ça plus tard.
Mon autorité n’étant pas en jeu car je ne cherche pas à en avoir, cela facilite les choses.
Et je suis enfin capable de vaquer à mes occupations en attendant qu’il veuille à nouveau renouer le contact, sans le forcer à m’écouter à tout prix.
Je le sais responsable de ce qui lui arrive, même s’il ne le fait pas exprès. Responsable ne veut pas dire coupable.
Responsable veut seulement dire que ses réactions lui appartiennent et je n’ai pas à me sentir investie de la mission de les raisonner, les juger, les contrer, les modifier, les faire miennes.
Je laisse ses réactions se dérouler, s’exprimer, passer devant moi sans en être affectée, comme lorsque nous faisons de la méditation et observons nos pensées arriver et repartir au son de la flûte des Andes cachée dans les bambous du soleil levant.
Bien sûr, comme aujourd’hui-même, par exemple, quand les colères s’enchaînent à raison de trois par heure, je finis par me sentir grandement titillée en fin de journée et je reprends quelques travers de mon « ancien moi ». Il se trouve qu’après coup, ce jour-ci, j’ai découvert que mon fils avait passé une partie de sa nuit à lire par peur de se rendormir suite à un cauchemar… donc l’explication rationnelle de la fatigue causant l’irritabilité peut être à envisager parfois (et même souvent), avant d’entrer en conflit stérile. Dans ce cas je ne dis rien de spécial, car annoncer « t’es crevé ce soir tu te couches tôt » (j’ai testé), ça lui donne un regain d’énergie et des protestations contre-productifs qui le mèneront à perdre tout l’effet bonus du climat « marchand de sable XXL » souhaité. Par contre hophop je fais en sorte que le repas soit prêt rapidement, et que les conditions du coucher soient là dans la foulée, et (hophop) gros biiisou et bonne nuit (hophop).
Un autre soir, sa colère s’est évaporée dans la tendresse : « Je te sens terriblement mal d’être si en colère. Est-ce que tu voudras tout à l’heure un bon bain chaud et un massage relaxant ? » Il a répondu, un peu boudeur, bien attrapé d’avoir envie d’accepter mes douces attentions : « Oui, tout de suite ! »
Evelyne Mester.