Regards sur soi-même

Je dois, il faut… et bla bla bla – Ecrit par Stéphane Witzmann

3 mai 2018

Stéphane Witzmann, coach, enseignant et formateur, postfacier de mon livre, mon associé et compagnon au Jeu de la vie, a récidivé : il a eu envie de partager avec vous un nouvel article écrit spécialement pour le blog, rejoignant le thème du premier, qui donne à réfléchir sur nos habitudes linguistiques et le sens qu’elles peuvent donner à nos vies.


Spider-Geekounet, jeune pré-ado, aime jouer à Minecraft. Et il n’aime pas arrêter, je le comprends. Toutefois nous avons un accord de fonctionnement, et il l’a retranscrit par écrit ainsi : « je dois arrêter à 22h ». Lorsqu’il s’exécute, il dit à ses potes virtuels quelque chose de similaire : « je dois arrêter ». Et moi, ce genre de langage me choque. Je suis toujours aussi libertaire : les obligations, j’aime pas. Qui plus est, cela en dit long sur comment Spider-Geekounet vit l’accord qu’il avait construit avec nous à première vue « de son plein gré » afin de tenir compte des besoins de chacun dans le but de maintenir l’équilibre relationnel.

Ça me questionne… en fait, est-ce qu’il y a des situations où on « doit » vraiment ? Qu’est-ce qui se passe si on ne fait pas, si on ne se conforme pas au « devoir » social ?

Dans le cas de Spider-Geekounet, il est tout à fait libre de continuer à jouer, du moment qu’il en assume les conséquences. S’il n’arrête pas à l’heure indiquée (autrement dit s’il ne respecte pas sa part du marché), nous (l’autre partie dans le contrat) risquons de nous sentir peu considérés voire trahis, de lui demander de ne pas rallumer le PC avant que la négociation ait repris entre nous, et de trouver ensemble un nouvel accord. Mais j’y tiens, il est libre de ne pas respecter le deal : c’est un choix. Et ainsi, une phrase comme « je me suis engagé à arrêter à 22h » me semblerait plus… responsabilisante. Mais bon, ce n’est pas celle qu’il a utilisée.

Ma sensibilité aux « je dois » ayant été exacerbée par cet épisode, j’ai commencé à en voir un peu partout, y compris dans mon propre langage. « Je dois aller faire les courses ce soir » : ben non, je choisis de le faire (ce soir qui plus est) car cela me semble préférable par rapport aux autres alternatives (McDo, c’est le Mal). Mais je ne « dois » pas.

« Je dois aller aux toilettes »… bon d’accord celui-là on le garde, même s’il y a du choix sur le timing (enfin, plus ou moins en fonction des situations), car le besoin me semble assez indéniable.

Tout ça pour vous dire — sans paranoïa aucune — qu’ils se cachent partout. Les « je dois ».

Et ses potes, les « tu devrais », les « il faut », les « faut pas », les « ne faire ça sous aucun prétexte », les « il est impératif de »… et les plus fourbes : les rien du tout. Parce que des fois, le « devoir » est implicite : « on ne met pas les doigts dans son nez ! ». Comme s’il existait une divinité qui compte les points en crottes de nez et qui récompense ceux qui en ont le moins sur les doigts ? Non, on ne « doit » rien. C’est juste que, dans un contexte non précisé, on pourrait peut-être escompter des conséquences sociales néfastes en mettant les doigts dans son nez. Vous voulez tester ? Seul dans mes toilettes, pas de souci. Et où encore ? En société ? J’ai des amis qui ne s’en privent pas et qui sont toujours mes amis.

Pour moi (et nombre d’autres coachs à tendance PNL), le langage qu’on utilise créée notre réalité subjective. Et comme j’aime bien la liberté, je me demande ce qui se passerait si on [s’interdisait] choisissait d’utiliser des formes linguistiques honnêtes et présupposant le choix à la place des « je dois » et autres. Ça donnerait quoi ?

Au lieu de « je dois aller bosser ce matin », dire « ce matin encore, je choisis d’aller faire ce travail qui ne me plaît qu’à moitié ». Et sur le bulletin scolaire : « doit faire mieux ce trimestre » deviendrait « nous vous suggérons de dépasser les 10 de moyenne annuelle faute de quoi le redoublement sera prononcé ». Ça semble tellement plus simple, direct et responsabilisant, vous ne trouvez pas ?

Là où ça me questionne beaucoup, ce sont tous les « je dois » qu’on n’a pas l’occasion de dire dans sa tête ou à haute voix (parce que le sujet précis n’est pas abordé), bref ceux qui passent sous le radar car on n’a pas l’opportunité de les corriger. Ceux-là, avec leurs potes les « c’est impossible » ont un nom en coaching : il s’agit des limites inconscientes de notre monde intérieur, la prison de verre dans laquelle nous vivons sans pourtant savoir qu’elle existe. Avec des conséquences parfois drastiques : sous prétexte que « c’est impossible » ou qu’« il faut (pas) », on s’interdira même d’envisager un futur plus proche de notre idéal. Plus précisément, on ne s’attardera même pas à explorer l’idéal en question et les possibilités pour s’en rapprocher.

Attention, je ne suis pas en train de dire qu’absolument tout est possible en un claquement de doigts, entendons-nous bien. Mon propos, soutenu par mon expérience en tant qu’accompagnant, c’est qu’il me semble pertinent de retarder notre jugement (possible, pas possible, pas socialement correct, etc) après avoir bien exploré ce qu’on voudrait vraiment. On appelle ça le cadre du comme si : « et si c’était possible, tu voudrais quoi pour ta vie ? Et tu t’y prendrais comment ? » (etc). Avec des « si », c’est magique, on se donne la possibilité d’envisager plein de possibilités, dont certaines auraient été instantanément jugées impossibles si on n’avait pas pris ce temps… mais à la réflexion, peut-être que ça se tente. Notre entreprise (Le Jeu de la vie) est d’ailleurs née ainsi, lorsque nous sommes passés de notre vieille rengaine « laisse-tomber, on n’a pas les moyens d’acheter un lieu approprié, les banques ne voudront jamais nous prêter sans apport ni CDI » à « ce lieu convient tellement pour nos projets, si on avait les sous ou qu’on pouvait les trouver, on ferait quoi ? ».

Pour revenir et terminer sur les « on doit » cachés, voici quelques mots d’un recruteur parisien rencontré il y a une dizaine d’années. Constatant quelques périodes creuses dans mon CV (j’avais entre autres consacré une année à des études de musique après mon premier job d’ingénieur), il m’a dit « Donc en fait vous, vous ne travaillez que quand vous en avez envie ». Devant l’évidence, je n’ai pu que répondre : « Ben… oui », je n’avais jamais vu les choses comme ça mais ça me parlait, et puis ce n’était pas faux sur le fond. Ce à quoi il a répondu un virulent « Eh bien c’est pas comme ça que ça marche ! ! ! ». Bref, pour ce monsieur, on se devait d’avoir un CV sans trous. Et moi de mon côté j’avais choisi de faire de la musique une priorité dans ma vie, et pour ça c’était parfait d’avoir des trous de temps en temps. Ce n’est pas qu’une question de liberté, c’est une question de bonheur. Quoi de plus important que de faire ce que l’on veut vraiment de sa vie, même si cela entraîne des renoncements sur d’autres choses ? De mon côté j’ai décidé : autant que possible, je ne « dois » rien, je choisis.

Stéphane Witzmann.

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