Ce soir Mikeline-Cacahuète, maman depuis sept ans, a crié. Encore une fois.
Que dire… plutôt même hurlé de toutes ses forces, crisé quoi.
Elle a serré les poings et levé les bras au-dessus de sa tête en expulsant toute sa rage dans un souffle tellement puissant que tout a été dévasté sur son passage.
Après lui, le silence.
Alors, sidérée elle aussi, elle a vu les larmes qui commençaient à monter dans les magnifiques yeux de ses petits spectateurs. Elle a entendu susurrer un « pardon maman ! » et est vite partie leur mettre leur dessin animé préféré.
A présent, linge, ménage ou temps d’écran n’ont plus d’importance. Ni même les traces de doigts chocolatés découvertes sur le canapé en poils-de-luc-de-pierre-de-lune-de-Colombie.
Sur son lit Mikeline a sangloté, elle se repasse le film de sa vie : « Mais pourquoi j’ai fait des enfants ? Je suis pas faite pour être mère… Je veux partir au bout du monde toute seule, qu’on me foute la paix, que je puisse vivre et respirer, au lieu de faire l’esclave de tout le monde et que ça ne suffise encore jamais ! Je suis un monstre, je suis la pire mère qui puisse exister. Je les ai voulus ces enfants, bordel, pourquoi je ne les supporte pas ? Prendre un congé parental pour partager du bon temps avec ceux que j’aime ? Tu parles ! Leur père qui me trouve effondrée et la maison en vrac quand il rentre. Je sais même pas faire la pâte à sel, en plus. Que de la merde, c’est ce que je fais, voilà !… Ça se trouve ils diront de moi plus tard que j’ai été une mère toxique, moi qui ai lu tous les bouquins de Filliozat. Et ces mères parfaites qui se pavanent sur les réseaux sociaux avec leurs dix gamins marchant derrière tout sourire comme une collection de petits canetons bien propres. Ah ils vont pas dans la flaque de boue ceux-là, ah ils ne caquettent pas tous en même temps, quand maman fait coin coin ils viennent se ranger près d’elle. Qu’elle est fière la maman cane ! Moi j’en ai mare. Ou marre plutôt. Je ne suis bonne qu’à péter un câble, ah ça je sais faire ! »
En fait, c’est un peu comme un régime : à partir de lundi on décide de ne plus jamais crier, on respire un bon coup, on regarde nos petits anges et on se rappelle comme ils sont mignons quand ils dorment.
Et ça marche ! On va même jusqu’à cocher pas mal de cases de notre calendrier pour fêter notre ténacité. Et comme la plupart des régimes, on va probablement reprendre très vite, et parfois pire qu’avant encore. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une ou plusieurs parties de nous ont été cordialement invitées à se taire. Muselées, opprimées, dans le meilleur des cas ignorées. Nos besoins vitaux passent à la trappe : dormir une nuit complète, aller aux toilettes sans disputes, manger autre chose que les assiettes des enfants à finir, boire un café au coin du feu en se laissant aller aux rêveries, écouter la pluie tomber en caressant le chat.
Ou simplement savoir qui on est, qu’est-ce qui nous nourrit, qu’est-ce qui fera que demain je serai heureuse d’avoir vécu une journée de plus.
Parce que je crois en l’intention positive de notre être envers nous-même, je me dis que nos cris sont là pour notre bien, à la base.
Un peu comme un enfant taperait du pied devant Tantine Berthe pour qu’enfin elle veuille bien entendre qu’il veut faire pipi, oui même en plein spectacle de la Fée Clochette, c’est urgent et non ça ne peut pas attendre.
J’avais lu que hurler, en tant que parent, était un moyen d’appeler au secours. Comment vous sentez-vous si vous imaginez alors Superman entrer dans la pièce, qui vous prendrait par les épaules en vous proposant de vous reposer, qu’il va tout gérer à votre place, car il sait à quel point vous méritez du temps pour vous et de la considération ? Ah si ça pouvait être réel !
Comment ça se fait qu’on en arrive toutes là ?
Vous me direz, avec un peu d’outils de communication bienveillante ça pourrait le faire peut-être ? Ou une méthode pour se calmer rapidement ? Du yoga ? Ou quelques trucs et astuces de mamans passées par là, pour les moments où on sent qu’on commence à déconner ? Des conseils de spécialistes du développement du cerveau qui nous souffleraient les bonnes phrases en fonction de l’âge des enfants ?
Peut-être.
Et pour moi, il manque l’essentiel, ce qui a fait que petit à petit je n’ai définitivement plus eu besoin de crier : cesser de croire que je dois éduquer mon enfant.
Si vous n’avez pas l’habitude de me lire, ces mots ne sont probablement pour vous pas du plus bel effet.
La terreur d’être débordée par ses enfants, un peu comme quand on se retrouve le chargeur vide face à une horde de zombies, dos au mur, nous envahit si on accepte d’imaginer appliquer même une seconde ce que je viens de dire. L’angoisse d’être écartelée sur la place publique pour non formatage d’enfant plane sur nous. Le spectre de la mauvaise mère démissionnaire nous frôle glacialement.
La réaction commune est le rejet de cette idée.
Et si je vous dis qu’à l’époque où je suis née, les maris avaient pour mission d’éduquer leur femme, …qu’est-ce que cela évoque en vous ?
« Ah ce n’est pas pareil, enfin ! Les enfants n’ont pas les mêmes capacités, leur cerveau n’est pas encore mâture ! »
Et moi je vous réponds par une question : pourquoi pensez-vous que les hommes ne confiaient pas l’argent à leur épouse ? Pourquoi la femme devait-elle demander l’aval de son époux avant de sortir ou de prendre une décision ? Les raisons évoquées par les hommes n’étaient en fait guère différentes : la femme est distraite, légère, tête en l’air, elle n’a pas le sens des responsabilités, elle n’a pas les compétences ni l’intelligence pour gérer les affaires sérieuses, elle est hystérique et irrationnelle, son mari a le devoir de la rendre sage, douce, serviable et obéissante.
Peut-être qu’il est temps de considérer les enfants sous un jour nouveau.
La proposition qui m’anime au quotidien est une nouvelle place pour le parent : se remplir de curiosité pour découvrir ce que cette personne (votre enfant) est déjà, et non pas ce qu’elle va devenir lorsqu’elle sera une adulte accomplie. Sans chercher à la faire changer parce que nous jugeons que c’est pour son bien, selon nos propres critères à nous. Je propose de faire confiance en la vie pour nous révéler qui sont ces êtres qui ont débarqué dans notre maison. Accueillir qui ils sont, sans chercher à les faire entrer dans la norme. Car nous pourrions passer à côté d’une culture différente, peut-être bien plus riche que la nôtre, plus ouverte et plus humaine. La vie a plus d’un tour dans son sac, et l’unicité de chacun est précieuse pour le monde.
Respecter l’enfant tel qu’il est aujourd’hui sans notre intervention, et non pas fantasmer le futur citoyen qu’il pourrait devenir grâce à nous un jour.
Car cela, nul ne peut le prévoir. Et sacrifier un présent bien là, sur l’autel d’un futur hypothétique, avouez que c’est bien du gâchis. Et, selon moi, ce sont ces attentes autour desquelles s’articule toute la parentalité. Celles d’en faire quelqu’un de bien en s’investissant dans un rôle demandé par la société : obéissant, discipliné, calme, gentil. En y rajoutant l’attente « d’avoir réussi » notre mission afin de les envoyer voler de leurs propres ailes.
Ce sont souvent ces attentes, de toujours vouloir que son enfant soit mieux/fasse mieux que ce qu’il est/fait, qui nous poussent à nous épuiser et hurler un soir, ou de nombreux soirs, ou tous les jours…
Il n’est pas assez ci, pas assez ça, il n’écoute rien, il devrait comprendre, tout de même, ça fait dix fois que je lui dis, et ça va bien finir par rentrer dans sa petite tête qu’on ne se comporte pas comme cela, et où va-t-il chercher tout ça, alors que son père et moi ne disons pas de gros mots, et c’est quoi ce petit rebelle, on dirait un ado à 5 ans ! Allez sors un peu jouer dans le jardin, t’es toujours enfermé, c’est bon pour la santé d’aller dehors ! Allez rentre un peu te reposer à l’intérieur, tu vas attraper froid à toujours jouer au ballon par tous les temps ! Et débarrasse ton assiette ! Et oui on est obligé de se mettre en pyjama avant d’aller dormir. Et je veux rien savoir, les dents, l’histoire et au lit !
Pas d’attentes = pas de pression. Pas d’attentes = pas d’ordres à donner. Pas d’attentes = pas de stratagèmes pour faire obéir. Pas d’attentes = pas d’engueulades. Pas d’attentes = pas de déceptions. Pas d’attentes = prendre ce qui vient comme un cadeau. Découvrir l’autre, quel que soit son âge, comme un ami que vous viendriez de rencontrer.
Certes vos habitudes risquent d’être chamboulées : certes il va falloir apprendre à défendre vos propres besoins vous aussi, sans vous cacher derrière le rôle attendu du « dominant », même bienveillant.
Certes il faudra communiquer autrement qu’au moyen des ordres et injonctions et apprendre à sortir tous gagnants des conflits d’intérêt (ou peu perdants). Et c’est un sacré changement.
Les parents s’oublient, les enfants doivent faire ce que décident les parents… et finalement personne n’y trouve vraiment son compte. Alors, on remet tout à plat et on s’organise différemment ? Tout est à réinventer.
Evelyne Mester.
Voir aussi sur le même sujet les vidéos :
« Message aux parents qui veulent arrêter la parentalité positive ».
« Je veux arrêter de crier après mes enfants ».