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Cet article s’adresse à ceux qui sont un peu déjà initiés sur le sujet et s’y sont essayé, ou à ceux qui ont craché dans la soupe parce que « la CNV c’est artificiel » ou encore « c’est un outil de manipulation ». Bienvenue.
Qui n’a pas rêvé d’un outil magique pour que soudain tout soit zen et plein d’amour à la maison ?
Après « La CNV dans le couple… c’est pas de la tarte » (à lire avant), voici la CNV (Communication NonViolente de Marshall Rosenberg) dans le cadre du noyau familial, et y a pas à dire, c’est pas du gâteau non plus.
Si vous ne connaissez pas ce que c’est, je vous engage à visionner son créateur en parler lui-même.
Autant dans un couple nous nous sommes choisis mutuellement et désirons vivre ensemble, autant dans la famille le grand frère n’a pas décidé d’avoir cette petite sœur, les parents n’ont pas commandé sur catalogue ces enfants-là, et nos ados n’ont sûrement pas souhaité ces parents-là, du moins pas consciemment. Nous nous retrouvons tous coincés dans un lieu clos avec des êtres parfois bizarres parfois incompréhensibles parfois agressifs parfois envahissants, et nous devons cohabiter, avec moins de possibilités de rupture que dans un couple si cela ne convient plus. Le plan idéal pour la vie de famille a beau être bien clair dans la tête des parents, les enfants ne l’entendent peut-être pas de cette oreille et nos valeurs ne leur conviennent parfois pas du tout.
Il n’y a donc a priori pas de finalité commune à cette belle entreprise qu’est la famille, alors que nous avons la contrainte de vivre ensemble.
Mmh ça promet une belle énergie …
Alors comme ça vous êtes en quête d’un outil magique ? Haha, ne le cherchez donc pas ici. Car que les choses soient claires tout de suite :
Contrairement à ce que vous avez probablement pensé jusque là, la CNV n’est pas un outil pour faire faire à l’autre ce qu’on attend de lui. Dommage hein !
Je ne classerai pas, pour ma part, la CNV dans la catégorie outil. Elle est plutôt une approche, une sorte de philosophie qui nous propose de créer en nous à chaque instant un réflexe d’introspection, pour explorer immédiatement ce qui se passe en nous, et pouvoir le transmettre tout aussi rapidement et instantanément de manière recevable à l’autre : clarté, transparence et authenticité. Et libre ensuite à l’autre d’en faire ce qu’il veut. C’est là que souvent ça coince, car on a du mal à lâcher prise sur nos attentes de résultat. Et pourtant, il s’agit vraiment de ne souhaiter d’autre résultat que celui de se sentir entendu par l’autre. En lui laissant toute responsabilité sur ses choix d’action ou de non action qui en découleront. Sacré renoncement sur les relations de pouvoir, n’est-ce pas !
On avait déjà chez nous la posture égalitaire enfants-adultes, on avait déjà des valeurs libertaires fortes, on avait déjà de nombreuses connaissances sur la vision du monde de chacun différente de la nôtre, mais on n’avait pas … pensé que nos enfants pourraient s’en foutre autant de nos émotions et nos besoins exprimés en mode CNV tout beau tout neuf.
… Car un jour, mon compagnon Reblochon-Pizza et moi sommes revenus de notre stage de CNV …
Utiliser la Communication NonViolente en famille ne voulait certes pas dire pour moi chercher à ce que tout se passe nickel lisse et sans accroc dans nos relations, mais je souhaitais qu’elle nous donne le moyen d’être à l’écoute de soi et de chacun pour aller vers des solutions, afin de servir notre vie collective. Et les enfants semblaient bien décidés à nous prouver que ça n’allait pas être simple.
Ils ont fait « oui oui » en écoutant nos propositions de nouveaux fonctionnements, tout en tripotant machinalement une pièce de mécanique posée ce jour-là sur la table, et avant la fin de nos paroles, ils ont posé la question qui leur brûlait les lèvres depuis le début : « Pourquoi ce truuuuc il est sur la taaaable ? ». Occupés à leurs propres pensées, ils n’ont eu que faire de nos blablas à propos des nôtres. Ok, bon on verra à l’usage.
La question première qui m’est alors venue a été la suivante :
« Est-ce que je décide d’utiliser la CNV pour que ma famille ressemble au rêve idéal que je m’en suis fait, ou bien pour permettre à chaque membre de s’épanouir et se révéler, même avec ses côtés sombres ? »
Constatant que les « phrases-magiques CNV » telles que j’imaginais les déclamer avaient tout de suite échoué pour me sentir entendue et prise en compte auprès de mes enfants (voir l’article précédent), c’est alors tout naturellement que je suis passée à la vitesse supérieure : j’ai décidé de délaisser ce que je croyais avoir compris de la CNV, à savoir « parler zen et mécaniquement », et de permettre plutôt à mes tripes et mon « non verbal » de s’exprimer de manière plus fidèle à la réalité de mon état d’esprit à l’instant T. Je n’aime pas faire semblant, et j’ai besoin que l’énergie de ce que je vis intérieurement puisse se voir extérieurement.
J’ai laissé tomber cette formulation-ci… : « Cher enfant, lorsque tu cries près de moi alors que j’essaie d’écrire un article et que je t’ai demandé trois fois d’aller plus loin, je me sens agacée car j’ai besoin de calme et de silence pour me concentrer. Es-tu ok pour cesser de rouvrir la porte de mon bureau ? »…
… et j’ai adopté cette formulation-là, bien plus imagée et fleurie : « Puuuuunaise de puuunaise ! Ces criiiis ces huuurlements dans mes oreilles ! J’en peeeeux plus ! ! ! Je suis en cooooolèèèèère t’imagines même pas comment ! ! Putain de mierda de bordelo de chiure de mouche crevée ! Meeeeeeerde, j’ai besoin d’avoir la paix et le siiiiilence dans mon punaise d’espace personnel ! ! ! »
C’est à ce moment-là que mon fils de 10 ans a bien voulu partir se trouver une autre occupation.
J’avoue, je fais pas dans la dentelle langagière en temps normal. Alors sous prétexte que je fais de la CNV, je ne vais pas adopter une attitude précieuse ni mâcher mes mots de manière distinguée. Mais vous pouvez remarquer que je me suis malgré tout exprimée sans lui envoyer d’accusations, en étant le plus factuelle possible, en prenant la responsabilité de mon émotion en « mode JE » et que j’ai nommé mes besoins.
Je n’ai pas fait de demande cette fois-là, car je n’étais pas prête à recevoir une réponse négative, toute à l’urgence de mon besoin vital et immédiat. L’énergie du moment a tellement été comprise qu’une action s’en est suivie de la part de mon fils pour que mes besoins soient respectés. Il aurait fallu aussi explorer ses besoins à lui, si on avait voulu trouver une solution gagnant-gagnant, et là je n’en avais ni le temps ni la volonté, j’ai défendu mes besoins à moi pour me protéger très rapidement. C’est quelque chose que beaucoup de parents dits « bienveillants » n’osent souvent pas faire, et ils oublient ainsi la bienveillance envers eux-mêmes, qui aurait pu leur éviter le soir-même de péter un câble sur leur gamin, épuisés de leur journée à ne pas se respecter soi.
Comme je le dis plus haut, en CNV la personne à qui s’adresse notre demande doit toujours se sentir libre de la satisfaire ou non, c’est une des difficultés que j’ai rencontrées lors de cette pratique dans le cadre familial :
Comment faire quand l’enfant se fout royalement de mes ressentis et a fortiori de ma demande ?
Synchroniser l’énergie de la formulation de mon message avec mon ressenti a déjà permis de sensibiliser mon enfant à mon état d’esprit et qu’il me prenne enfin en compte. Je n’ai lu ni peur ni soumission dans son regard, et c’est sur cela que j’insiste, contrairement à si je l’avais directement engueulé ou puni. J’ai juste perçu qu’il avait compris que je tenais vraiment à ce que j’avais auparavant : mon calme. Quand j’eus fini nous étions tout à fait heureux de passer du temps ensemble et aucunes excuses de part et d’autre n’étaient utiles, car personne n’en voulait à l’autre, personne n’était peiné. J’avais besoin de mon calme et ce n’était pas quelque chose de négatif en soi, mon fils avait entendu mon message et avait compris à quel point c’était important pour moi.
On parle souvent de poser un cadre et des limites aux enfants, je ne suis pas du tout adepte de cela, au contraire. J’illustre ici l’autre idée possible et totalement naturelle à appliquer avec quiconque quel que soit son âge : dire clairement MES limites au moment où elles ont besoin d’être dites.
Pour moi la CNV permet vraiment ça : je dis stop, tout en gardant une bonne relation avec l’autre par ma formulation.
Comment je fais, donc, si même l’étape de m’exprimer clairement n’a pas provoqué de réaction sur mon enfant ?
Personnellement, je lui explique l’incidence de ce qui est en train de se passer, sur la suite de la journée, par exemple : « Tu sais, si je ne peux pas terminer mon article maintenant, je devrai le faire tout à l’heure et je n’aurai plus de temps pour préparer les crêpes ». Du channnntaaage ? ? Meeeuh non, vous affolez pas. Le chantage c’est lorsqu’on annonce une conséquence artificielle à une action, genre « Si tu ne te tais pas tu n’iras pas à la fête de Tatane-Paire-de-Rollers dans quinze jours ! ». On aurait même envie de rajouter « Na ! » tellement c’est une sorte de jolie tentative de vengeance des parents pour se soulager de leur propre vexation, pour manipuler aisément et pour asseoir une autorité indiscutable.
Là non, pas de chantage. J’annonce une conséquence toute naturelle aux choses : le temps dont j’ai besoin pour écrire va empiéter sur celui pour faire cuire les crêpes, donc il se peut que je doive les reporter à un autre jour. Et je dirais la même chose à mon compagnon ou à des amis si j’avais rencontré ce problème avec eux.
Il m’arrive aussi d’expliquer une conséquence d’ordre relationnel : « Depuis ce matin je ne me sens pas prise en compte dans mon besoin de repos, je commence à me sentir tellement énervée et fatiguée que je ne suis pas certaine d’avoir envie de passer du temps à jouer avec toi au coucher. Papa prendra probablement le relais » Chantage affectif ? Non, je ne suis pas en train de lui dire que « Maman pleure regarde, à cause de toi, vilain petit garçon ! Si tu fais pleurer maman, elle ne t’aimera plus et ne voudra plus jamais jouer avec toi ! »
Les relations humaines sont une circulation d’énergies. Personne ne peut piétiner les besoins des autres impunément et néanmoins conserver leur bonne humeur et leur coopération.
Pour Rebloch’ et moi, la fonction essentielle de la communication est de conserver une bonne relation avec autrui en se respectant soi-même.
Notre enfant par contre, il arrive qu’il s’en fiche un peu, lui. Il sait qu’il viendra faire un câlin et que Maman l’aime et lui pardonnera toujours. Alors c’est plus facile pour lui de nous balancer au cours de ses crises émotionnelles : « Je te déteste ! Je ne veux plus vivre avec toi ! Je vais partir très loin ! » au lieu de nous dire : « Maman, j’apprécie que tu cherches à prendre soin de mon sommeil, et j’aimerais que tu réalises que ma vie m’appartient et que moi je suis heureux quand je joue, et que j’ai besoin de détente avant d’aller au lit »… Mouarf.
Une grande partie du travail familial sur la non violence réside à mon sens dans le fait de permettre à chaque membre de la famille d’expérimenter que les moyens non violents sont plus « écologiques » sur le long terme, même s’ils demandent plus d’efforts sur le court terme : ils apportent des bienfaits durables qui vont dans le sens du respect de chaque membre du groupe qui contribue à l’équilibre collectif.
Si le bonheur familial était représenté sur un schéma par une courbe, avec la CNV celle-ci serait légèrement fluctuante mais plutôt stable sur le long terme. Sans utilisation de la CNV, chez nous en tout cas, la courbe est en dents de scie très aiguisées : chacun tirant la couverture à soi violemment, un niveau sonore assorti, et tout le monde est vraiment mis à mal dans ces cas-là. Donc « les gars, est-ce que c’est vraiment comme ça que vous souhaiteriez fonctionner dans notre famille ? » J’ai déjà posé la question à mes enfants, et je peux vous dire que non : ils souhaitent eux aussi, dès qu’ils y réfléchissent, la paix, le calme et la complicité. Nous voilà fixés sur un projet commun du coup, que nous avons tous choisi. Et c’est toujours bon de le rappeler quand tout part en vrille parce que l’un de nous pète un plomb.
Bref, revenons à notre épisode avec mon fils. La CNV offre d’autres moyens d’action en cas de conflits. Par exemple celui de permettre à l’autre de s’exprimer lui plutôt que moi. Voici ce qui aurait été, à mon sens, pas mal à lui demander : « Je remarque que tu cries et t’agites, est-ce que tu te sens stressé ? Est-ce que tu aurais besoin d’un moment ensemble ? Est-ce que tu serais ok pour qu’on aille faire un tour au parc quand j’aurai fini d’écrire ? » Très probablement il aurait arrêté ses cris pour s’exprimer, puis heureux d’avoir été pris en compte et entendu, et après avoir négocié un arrangement, il aurait patienté.
Selon l’éducation que nous avons reçue, nous pouvons avoir tendance à être pudique sur le fait de nous questionner sur nos propres ressentis mais aussi sur ceux de notre enfant.
On ne pense pas toujours à lui demander comment il se sent, ou bien on a peur d’entendre les réponses, de ne pas savoir gérer, et du coup il perd l’occasion d’apprendre à clarifier ses besoins pour savoir prendre soin de lui-même. Je suis souvent frappée de réaliser que les questions les plus simples et directes qui concernent la vie de nos enfants ne sont pas posées : « Comment tu te sens dans la famille ? Est-ce que tu te sens heureux ? Qu’est-ce que ça te fait quand ton frère dit qu’il ne t’aime pas ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour toi dans ta vie ? Est-ce que voir ton papa une semaine sur deux en garde alternée te convient toujours ? Est-ce que tu as une demande à me faire ? etc etc… »
La CNV est une formidable occasion d’expression de l’authenticité de chacun et d’accompagnement dans le cadre de la famille.
Vous n’avez plus besoin de trouver quoi dire pour aider votre enfant lorsqu’il rencontre un problème, ni minimiser pour le rassurer, ni le plaindre pour le comprendre, ni lui donner des conseils pour l’encourager, toutes ces choses qui peuvent entretenir une prise en charge de ce qui est sous sa responsabilité. Il « suffit » de l’écouter pleinement sans juger ni donner son avis, de reformuler ses émotions en répétant ce qu’il vient de dire : « Oh oui tu te sens suuuuper triste ! Comme tu as mal ! » Donner ainsi de la légitimité à ses émotions le soulage grandement. Cela est à la portée de tout le monde. Et lui faire confiance pour trouver SA solution s’il en souhaite une.
Il faudrait beaucoup de temps pour parler de tout ce que la CNV peut apporter en soi et autour de soi, dans différents domaines de la vie, en tout cas telle que nous l’avons faite nôtre, en ce qui nous concerne.
La famille est un des premiers lieux privilégiés de possibilités de développement personnel et d’apprentissages des relations humaines. Cela me semble être un chouette chemin que d’aller vers un lâcher-prise sur tout souhait de résultat en famille. Restons ouverts à l’expérimentation et à l’émergence pour créer un climat favorable à l’expression naturelle de chaque personnalité au sein de notre famille.
Evelyne Mester.