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Introduction à l’article : Le ton que j’emploie ici est ironique. Je cherche non pas à accabler un parent qui chercherait à faire au mieux, mais je souhaite ici dénoncer directement la posture que sous l’appellation « bienveillance » (ou pas), nous gardons trop souvent envers nos enfants : « je suis l’adulte, moi je sais, et toi tu obéis ». En douceur, sans violence apparente, quelle liberté reste-t-il néanmoins à l’enfant sur sa vie quand elle est dirigée par son parent sous couvert de l’éducation ?
« L’adulte bienveillant » pense toujours au bien de son enfant. A peine arrivé au parc, il cherche un coin à l’ombre : Non pas ce banc, celui-là ! montre-t-il.
Il revisse patiemment son petit chapeau sur la tête de Bambinou qui vient de le jeter par terre, resserre l’élastique derrière les petites lunettes de soleil pour qu’elles tiennent bien, et Attends reste là faut mettre la crème solaire ! Bambinou regarde les jeux et c’est très dur d’attendre. Il est secoué par ces mains collantes qui lui tartinent les bras.
Enfin, il se précipite vers la cabane à escalader. « L’adulte bienveillant » se lève aussitôt et s’écrie Ah non ça c’est trop difficile pour toi ! L’enfant observe l’échelle et la plateforme, il toise, mesure, évalue. On lui répète de ne pas y aller. L’enfant regarde d’autres enfants de son âge s’amuser dessus.
« L’adulte bienveillant » a toujours raison, et explique à l’enfant en quoi son petit pied peut glisser, il peut chuter parce que c’est haut, de toute façon il n’y arrivera pas. Viens plutôt sur celui-ci, regarde comme il est rigolo ce chien à ressort !
« L’adulte bienveillant » doit toujours être très près derrière Bambinou, qui se déplace inlassablement à droite à gauche, veut toucher un buisson – on lui retire la main -, attrape des cailloux – on lui bloque le bras -, veut courir – Non tu vas tomber ! -, veut faire de petits bonds sur une plaque au sol – Non ça fait du bruit tu déranges les gens.
« L’adulte bienveillant » veut le bien de son enfant. Il le tire par la main vers les jeux adaptés à son âge, il le pousse sous les fesses pour l’aider à monter, il lui dit où il doit poser ses pieds, il l’attend en bas du toboggan accroupi en l’encourageant Doucement, hein ! Brrrravoooooo ! Quel grand garçon !
« L’adulte bienveillant » doit toujours avoir d’autres parents autour pour être bienveillant. Ainsi observé, il ne criera pas ni ne s’énervera. Il gardera ça pour la voiture, quand Bambinou ne passera pas son bras assez vite dans la sangle du siège auto.
« L’adulte bienveillant » donne toujours la priorité aux autres enfants du parc : Laisse passer la petite fille, prête-lui ton jouet, pousse-toi tu vois bien que le petit garçon attend !
De toute façon c’est l’heure du goûter, Bambinou doit s’asseoir. Il ouvre les mains pour qu’on y passe la lingette. Il mange d’abord sa compote, le biscuit c’est pour après. Pfff mais regarde, tu t’en mets partout. Attends je vais nettoyer. Voilà. Tu n’en veux plus ? Mais tu n’as rien mangé ! Et tu vas me réclamer tout à l’heure mais ça sera trop tard hein, c’est maintenant ou rien du tout. Et puis zut, tu me fatigues, va jouer !
Un échange de sourires compatissants entre parents, et l’enfant aura quelques minutes de répit pour faire ce qu’il veut pendant que les « adultes bienveillants » discutent ensemble d’un banc à l’autre : Ah là là, sont pas faciles ces gamins de nos jours hein. Mais qu’est-ce qu’on les aime !
L’enfant soudainement arraché à son jeu hurle mais « l’adulte bienveillant » lui fait dire aurevoir de la main aux gens du parc. On s’en va, c’est l’heure. L’enfant s’exécute en pleurs. Les autres adultes sourient, ils sont gênés mais ça fait du bien de se sentir moins seuls à avoir un enfant capricieux.
« L’adulte bienveillant » ce soir mettra une brève fessée sur la couche de Bambinou qui refuse de se déshabiller pour aller au bain. Bambinou aura très peur, mais Papa saura réparer ça d’un gros câlin. Dure journée, c’est épuisant d’être parents.
Cette nuit Bambinou fait un rêve merveilleux. Sur le dos d’un oiseau bleu, il plane au-dessus des océans. De là il aperçoit toute la Terre et peut aller où il veut. Il crie de joie les bras en l’air en riant.
Bambinou ne sait pas raconter son rêve à son papa. Demain, il faudra encore obéir.
Evelyne Mester.
Sur le même thème, lire aussi : Les choix proposés aux enfants : bienveillance ou manipulation ?
ainsi que : Je laisse mon enfant emplir de cailloux le bas du toboggan.
Pourquoi c’est marqué ‘bienveillant’ à côté de cet adulte-là? Je ne vois aucun comportement ‘bienveillant’….. Je n’en vois pas non plus de ‘malveillant’ (ie qui auraient pour intention première de faire mal)… Je vois simplement un adulte qui ne sait pas qu’iel peut faire différemment, peut-être parce que peu d’exemples différents existent encore aujourd’hui et que même quand ils existent, faire différemment demande 1. de nous prendre nous adultes dans nos bras pour voir ce qui crie, ce qui commande à l’intérieur de nous et 2. quelques outils quand même…
Alors oui, j’ai de la compassion pour cet adulte qui fait du mieux qu’iel peut avec ce qu’iel sait, de lui, de l’autre, de la communication…. Cet adulte, il est de mon point de vue en chaque adulte ‘par défaut’, et peut ressortir même chez le/a plus avancé.e d’entre nous sur le chemin de la considération de l’autre humain comme égal. Je veux lui ouvrir mes bras, lui reconnaître son intention de faire le bien, et ensuite, seulement ensuite, lui montrer qu’il a des stratégies tragiques pour faire ce bien qu’iel désire tant. Seulement ensuite
Merci Marion pour ton commentaire. Je suis d’accord avec ton approche d’accueillir en premier cet adulte dans son intention de faire bien.
Cet article parle de ce qui est considéré comme la parentalité bienveillante, dans laquelle beaucoup d’énergie est mise, selon moi, dans le but d’être le meilleur parent possible.
Je propose de voir les choses sous un autre angle et d’amener le parent à se rendre compte, s’il le souhaite, que quoi qu’il fera, avec toutes les bonnes intentions du monde, tant qu’il considère que l’enfant est au-dessous de lui et doit donc être éduqué, la relation reste celle de la loi du plus fort (même avec un gant de velours). Voir à ce sujet aussi mon article publié sur le site « Apprendre à éduquer » récemment (« Les choix proposés aux enfants : bienveillance ou manipulation ? »).
A mon sens, c’est l’essentiel de sa posture qui est bancale : l’adulte considère que la personne qui est responsable de l’enfant (et même d’ailleurs celles qui ne le sont pas) sait mieux que lui ce qu’il doit être aujourd’hui et ce qu’il devra être plus tard.
« La bienveillance est la disposition affective d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui » (source google). Selon cette définition, tout peut passer sous cette appellation, y-compris les violences, si on les fait, comme autrefois, en étant convaincu que c’est pour leur bien. D’où le danger pour moi. Qu’en penses-tu ?
Merci <3
Avec joie d’avoir pu contribuer à quelque chose de bénéfique pour toi, Mélodie.