Regards sur soi-même

L’autre n’est pas moi | La carte du monde #2

15 juillet 2017

[Temps de lecture : 6 mn]

Nous l’avons vu dans l’épisode précédent, mon mari, ami, enfant, collègue, voisin, ne réfléchit et fonctionne pas tout à fait comme moi. Il décode ce qui l’entoure en suivant sa propre « carte du monde » et comme c’est la sienne et qu’elle n’est pas arrivée par hasard, elle est tout à fait justifiée pour lui et respectable par moi (même si je reste convaincue que la mienne est meilleure héhé). Cela nous amène forcément à une petite-remise-en-question-de-rien-du-tout-qui-passe-comme-une-lettre-à-la-Poste-ou-plutôt-comme-un-SMS-au-portable : je ne suis plus la seule à avoir raison. Ouille.

Moi qui, en tant que « Madame-Je-Sais-Tout-En-Chef » depuis ma plus tendre jeunesse possédais forcément la vérité vraie absolue indiscutable sur tout ce dont j’étais sûre… ben c’était l’occasion d’apprendre un peu plus l’humilité.

Mais du coup, comment bien naviguer tous ensemble alors que nous avons les yeux rivés sur nos cartes respectives ?

Nous ne pouvons pas lire la carte du monde de l’autre, car elle est dans sa tête et son cœur. Il va donc nous falloir ruser pour comprendre et être bien compris, dans le but de nous simplifier la vie à tous et d’éviter de nombreux malentendus.

La première chose à faire est de VÉRIFIER le plus souvent possible ce que veut dire pour la personne en face de moi tel mot ou telle notion.

Car un mot a beau avoir une définition dans le dictionnaire communément acceptée par tous, nous y mettons NOTRE propre signification en fonction de notre carte du monde.

-« Qu’est-ce que tu attends de moi quand tu me demandes que l’évier soit PROPRE ? Pour moi il l’est quand j’ai frotté avec éponge et produit, et que ça brille ! »…

-« Ah ben non, pour moi PROPRE veut dire ça mais aussi que tu aies jeté à la poubelle la nourriture qui reste au fond, et aussi que l’éponge soit essorée et posée sur son support, ainsi que les torchons bien alignés »…

(Bon après, si Madame est exigeante, on peut aussi négocier : « Ça te va si parfois j’oublie les torchons ? » Gniark-Gniark mais c’est pas le sujet).

Pour ce qui est de mes demandes, je pourrais veiller à ce qu’elles soient formulées le plus précisément possible : choisir non pas un mot passe-partout et généraliste, mais retranscrire ma pensée le plus fidèlement possible pour qu’elle soit lisible par l’autre.

Voici ce qui peut arriver quand on est un peu trop vague. La phrase « Ce week-end il va falloir s’atteler à faire le ménage à fond » veut dire :

-pour l’enfant : Ah chouette, Maman veut qu’on le fasse très vite (« à fond »), en y prenant le moins de temps possible.

-pour le mari : Bon on va passer l’aspi partout dans les pièces aux endroits où on piétine souvent et laver le carrelage.

-pour l’ado : Oui et alors ? En quoi ça me concerne ?

-et Maman [ou Papa, Tonton, Fiston, Papy hein, c’est pas exclusif à la femme], elle, pense que c’est une évidence que « faire le ménage à fond » veuille dire monter les chaises sur la table, enlever tous les objets au sol, passer l’aspi dans le moindre recoin, tirer les canapés, laver les vitres de toute la maison, ainsi que passer les rideaux à la machine, enlever les toiles d’araignées au plafond, changer les draps, frotter les coulures sur les placards de la cuisine et même gratter les traces de peinture qui restent dans le couloir depuis plusieurs semaines. Elle pense que tout le monde y met de la mauvaise volonté de ne pas comprendre ça, c’est pourtant évident !

Du coup lorsque Maman vient furax, poings sur les hanches, voir son ado qui a repris sa place à l’ordi après avoir passé un mini coup de balai dans le couloir, elle risque de l’entendre crier « Nan mais sérieux tu me gonfles là ! J’ai fait ton p*** de ménage et t’es jamais contente ! » [Oui, l’ado est parfois expressif.]

Son mari est satisfait que le travail ait avancé efficacement mais elle repasse derrière lui pour tout refaire car c’est pas assez bien ! Décidément, il y a de fortes chances pour qu’il se sente peu respecté et ait envie la prochaine fois de se carapater soudainement chez le voisin qui a besoin d’un outil juste au bon moment comme par hasard.

Et Maman ? Ben elle se dira qu’elle est la bonniche parce que personne n’en glande une, et que ça ira bien plus vite de le faire soi-même plutôt que de remuer cette bande de bras cassés dans cette fichue maison… Et elle râlera ensuite de tout faire seule, ce qui sera pourtant la situation qu’elle aura choisie, plus ou moins implicitement.

Mais dès lors que l’on est au courant de l’existence de la carte du monde, comment en vouloir à la personne en face de soi ? A moins d’être en colère contre elle, de la mépriser ou de la détester, si cette personne parlait une langue étrangère, n’auriez-vous pas cherché à vraiment bien vous faire comprendre, et à vous assurer qu’elle aurait compris correctement ?

Voilà, considérons que nous parlons chacun notre propre langue et qu’il y en a autant que de personnes dans notre entourage.

Même si ça paraît fastidieux au premier abord, cela permet de maintenir un rapport harmonieux avec nos proches. Donc à nous d’être imaginatifs, de bonne volonté pour se faire un super troc aux cartes du monde et s’échanger toute la collec’.

Dans l’exemple du « grand ménage », on peut envisager par exemple de dresser la liste des tâches que l’on souhaiterait voir réalisées, à cocher au fur et à mesure, en laissant chaque membre de la famille se charger de ce pour quoi il a des compétences ou ce qui lui pose le moins de problèmes, quand il le souhaite du moment que c’est fini dimanche soir quand on rattaque la semaine.

En résumé :

Si j’ai une demande, je cherche à la formuler de manière précise, puis je vérifie ce que l’autre a compris. Vice versa, si quelqu’un a une demande envers moi, je lui reformule ce que je crois avoir compris et je vérifie.

Et surtout, je reste indulgente et ouverte sur l’action qui suit, car il se peut que malgré nos efforts, il reste encore des incompréhensions et qu’il faille refaire une passe sur la vérification :

-« Quand j’ai dit que je n’aimais pas que tu mettes les pieds sur la table basse, tu as continué, tu peux m’expliquer ? »

-« Oui je sais mais moi j’aime bien lire les pieds en l’air ! »

-« Ah ok, et pour moi tout ce qui m’importe c’est que la table reste propre. Comment on fait ? »

-« Je pourrais mettre un journal sous mes pieds ».

-« Oui ! Ça me va, ça ! Merci ! »

Je crois que le tout est de garder en tête que par défaut l’autre me veut du bien, car ben a priori on n’est pas des ennemis… et se dire que s’il n’a pas fait correctement selon moi, il doit y avoir une raison qui est très valable pour lui. Lui demander ce qu’il en est reste encore le plus simple à faire [NDLR: La fainéantise fait partie des raisons très valables]. Car il cherche lui aussi à préserver des choses importantes pour lui.

Et pourquoi pas essayer ce mode de pensée aussi avec mon patron qui me « pourrit la vie » ? Et s’il avait passé une sale nuit ? Et s’il était triste car il se sent inutile ? Et si son travail ne lui plaisait pas ? Ce n’est peut-être pas vraiment à moi qu’il en veut… Pas besoin de jouer les psys de comptoir ou de s’immiscer dans sa vie privée, mais s’il suffisait parfois d’une petite phrase de vérification pour le voir s’apaiser envers moi ?

-« Je me dis que vous vous sentez inquiet parce que ce dossier doit être fini demain et que votre réputation en dépend, est-ce que c’est bien ça ? »

L’autre n’est pas moi. Et je ne suis pas l’autre. Une évidence ? Eh bien, voyons rien que le temps d’une journée les choses comme cela à la maison, au boulot, chez nos amis, dans la rue, et nous pourrons constater à quel point ce simple éclairage change la vie.

Dans le prochain épisode de notre série, nous explorerons la carte du monde à travers les limbes du ressenti personnel… En attendant je vous invite à laisser vos commentaires ci-dessous pour me faire part de vos expérimentations !

Lire la suite :

Ce que je ressens m’appartient | La carte du monde #3

Evelyne Mester.

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