Ah ça vous parle ? Vous êtes parents vous aussi peut-être ?… Héhé. Bon en fait c’est pas si drôle, ni pour nous, ni pour eux.
Je suis super à la bourre dans mon travail ce jour-là, j’ai la lessive à faire, un coup de fil à passer depuis avant-hier, le chat a chié sur le tapis, le repas n’est pas prêt et mon fils me demande de l’aide pour une leçon. Miss Couettes, 7 ans et demi, est assise sur le Fauteuil-qui-tourne et ne dit rien en nous regardant.
J’arrive à m’échapper une seconde pour aller faire pipi, et je manque de lui éclater le nez avec la porte en ressortant trop rapidement : elle attendait devant. « -Ben alors ma puce, qu’est-ce que tu veux ? » lancé-je en agrafant ma braguette tout en me précipitant sur l’ordi pour répondre à un mail urgent. « -Ché paaas quoi faire… » Les yeux rivés sur mon écran et la main sur la souris, je lui jette : « -Ben j’sais pas, moi, lis un livre ! »
Il est où ce putain de mail, mais c’est pas vrai, c’est quoi cette technologie de merde (oui désolée je jure un peu quand je suis en stress), des mails qui s’évaporent ça existe ça ? ?
Le chat fait encooooore ses griffes sur le canapé et je me lève en râlant pour le coller sur la terrasse. Oh punaise, je vais y arriver, je vais y arriver. En retournant m’asseoir, je manque de marcher sur Miss Couettes, qui me suit encore et répète « Maaaman, j’m’ennuie ». « -Pfff ! » Je croise son regard qui a pas l’air bien gai. Oulààà faut faire un break là, y a un truc qui cloche. Stop, pause, arrêt. Je m’accroupis devant elle et lui tiens les mains tendrement.
« -Ma biiiche, t’as l’air tout triste ? »
-[Haussement des épaules… suivi d’un gros câlin toutes les deux].
-Tu veux m’en parler ? Y a un truc qui va pas ?
-[silence]…(…) …J’m’ennnnnuiiiiiiie. »
Ah ok. Raaa…oui je suis bête, j’avais cru comprendre en fait. Hmmm, comment te dire, ma fille, que Maman est tellement occupée, elle, qu’elle aimerait bien avoir rien qu’une seconde pour s’ennuyer… et puis les spécialistes disent que c’est très bien de s’ennuyer, que le cerveau travaille et se construit. Mais comme je l’aime très fort, cette petite fille, ben je vais tomber dans le panneau absolu bien pratique quand on est méga pressée : continuer à lui suggérer des activités.
« -Je sais pas moi, fais un dessin, tes feutres sont juste là !
-J’sais pas quoi dessiner.
-Et tes playmobils, ça fait un sacré moment que t’y as pas joué…
-Nan j’aime pas. …J’sais paaaas quoi faaaaaiiiire. »
J’ai fini par (vite) me lasser ce jour-là, surtout quand j’ai entendu le bip bip du SMS de « mon réparateur » à distance qui m’annonçait sans doute la solution pour ma perte de mail.
« -Bon écoute Miss, moi je suis super débordée là et je peux pas m’occuper de toi ! Je te fais un gros câlin et ensuite je suis désolée mais va falloir faire toute seule. » Elle a continué à « me tourner autour » plusieurs fois et je l’ai chassée. Je voulais me con-cen-trer. Bordel.
Elle est allée se coucher sur le canapé et moi j’avais comme un drôle de sentiment de remords… J’ai réfléchi. Je me suis levée pour rejoindre Miss Couettes en casant soudain un créneau « urgence » dans mon planning. Question de priorité, en fin de compte.
Je me suis rappelé la Communication NonViolente, les neurosciences, tout ça tout ça. Derrière cet ennui, il y avait de toute évidence un besoin qui n’était pas comblé. Ma fille a accepté d’explorer cette piste un moment avec moi pendant que deux petites larmes chaudes coulaient silencieusement de ses yeux acajou sur ses belles joues dorées. Elle ne savait pas elle-même ce qu’elle ressentait. Besoin de bouger ? Besoin d’attention ? Besoin de communiquer ?
« -Miss Couettes, de quoi tu aurais besoin pour te sentir bien ? »
Elle a fini par trouver… « Je voudrais rester contre toi. » Elle avait besoin de proximité. Plus je l’avais éloignée de moi, plus elle s’était rapprochée et j’avais eu la sensation pénible qu’elle « me collait ». Elle n’avait pas su mettre de mots sur son ressenti pour m’en parler.
J’ai cherché à savoir quelles seraient les meilleures conditions pour elle pour que ce besoin de proximité soit satisfait au mieux : qu’attend-elle de moi ? « -Rien, juste envie de rester tout contre toi ». Elle n’avait pas besoin que je lui parle, pas besoin de parler, ni que je la regarde ! Ok, on va trouver comment gérer. On a cherché des solutions : je devais absolument travailler maintenant mes photos à mon bureau, mon client attendait sa commande. Pas facile de mettre une grande sauterelle sur mes genoux et de voir encore avec précision mon écran et mon clavier. Je ne pouvais plus la porter en écharpe comme autrefois ce qui m’a donné une idée toute bête : j’ai avancé mes fesses au bout de mon siège de bureau, et elle s’est mise en koala accrochée à mon dos derrière moi, une jambe de chaque côté.
A son grand sourire j’ai su que son besoin était comblé, encore plus qu’elle n’espérait. J’ai fini tout mon travail dans le calme, sa petite chaleur dans mon dos, comme quand elle était bébé. Elle n’a dit qu’une seule phrase : « je suis trop bien là maman ».
C’était si simple en fait. C’est sûr que quand on a pas le temps « d’explorer » les besoins et les solutions, ça paraît fastidieux de s’y pencher quand même. Et pourtant le temps perdu à avoir l’esprit ailleurs au lieu d’être efficace, et sentir la pression monter, est finalement aussi pénible. Avec risque de péter un plomb pour un rien au moment du coucher.
J’aurais pu l’envoyer voir un dessin animé, elle aurait fini par s’y résoudre. Mais je crois que je serais passée à côté d’une chose qui n’a pas de prix : remplir son réservoir d’amour.
« De quoi aurais-tu besoin pour te sentir bien ? »
C’est notre enfant qui a la clef. Et notre amour mutuel mérite le temps pris pour la trouver.
Evelyne Mester.