Mon fils cadet était rentré triste ce jour-là, énervé, en claquant la porte et en criant « J’en ai marre de l’école ! Je me sens en prison, on peut pas bouger, on a rien le droit de faire, j’ai ramassé ma gomme par terre et la maîtresse a cru que je chahutais et j’ai pris une punition, j’ai 50 lignes de je ne dois pas chahuter en classe à copier. Je lui ai dit mais elle a pas voulu m’écouter, elle a répondu Pfff tu parles, je te connais ! ».
Miss Couette, sept ans est une « très bonne élève », parfaitement sage et attentive à l’école, la maîtresse n’a rien à redire. Des comme ça elle en voudrait trente. Ma fille est fière. Et elle a mal au ventre tous les matins avant de partir.
Mon troisième-né de la fratrie, dix ans, dégoûté de devoir arrêter de dessiner ses BD, car « demain y a école, faut se coucher ». Demain il a du boulot sérieux : il devra apprendre ses tables de multiplications pour la énième fois, réciter sa poésie dont il ne comprend pas les mots d’un autre âge, conjuguer le passé simple sans oublier l’accent circonflexe. Ben oui s’il veut apprendre un métier plus tard (dessinateur par exemple), il doit savoir tout cela.
-« Pourquoi elle est orange, celle-là ? » Ce même petit garçon, quatre ans à l’époque, avait trouvé une coccinelle dans l’herbe.
-« Ah ben j’en sais rien, on va regarder sur internet ».
Il a pu raconter à sa maîtresse le lendemain que les coccinelles asiatiques avaient été importées parce qu’elle étaient plus performantes contre les pucerons, mais qu’elles étaient en train de faire disparaître l’espèce des coccinelles autochtones rouges à points noirs car elles mangeaient leurs larves. La larve c’est le bébé coccinelle et il est très gros et très moche, il se transforme doucement puis devient adulte et pond, et voilà ça continue ensuite. Il a écrit fièrement en lettres maladroites le nom de la bébête, et a collé des images que nous avions imprimées. Six ans plus tard, il peut encore vous parler de la vie de ces coccinelles, il s’en rappelle chaque détail. -« Maman ? Pourquoi tu nous fais pas l’école à la maison ? Avec toi on aime apprendre ! »
Je crois qu’heureusement, le monde a pu exister depuis bien longtemps sans école. Le savoir du père qui emmenait son fils couper le blé, l’expérience du sabotier du village que les gamins du quartier venaient regarder travailler, le filage de la laine transmis de génération en génération, les contes chargés de sens et de symboliques racontés au coin du feu. Tant de main d’oeuvre perdue pour les usines, il valait mieux civiliser ces gens et les faire rejoindre la ville.
Maintenant beaucoup d’artisans ont disparu. Le monde a multiplié les robots pour faire le travail à notre place. Cette génération de bambins qui sait à peine marcher maîtrise l’usage des tablettes et smartphones les doigts dans le nez (au sens propre, enfin sale), avez-vous remarqué avec quelle facilité ils trouvent intuitivement comment cela fonctionne ? Certainement, ces objets répondent parfaitement à leurs besoins d’aujourd’hui.
Les robots font à notre place ? Que devons-nous faire maintenant ? A quoi servirons-nous demain ?
-« Maman, à l’école il faut toujours se taire. La maîtresse elle nous dit ce qu’on doit apprendre. Moi quand je serai grande, je serai Appricolatrice. C’est quelqu’un qui apprend tous les jours ce qu’elle veut et qui parle beaucoup. »
Les métiers de demain ne sont pour la plupart pas encore inventés. On se serait moqué il y a seulement cinq ans d’un enfant qui aurait eu l’idée étrange d’être Développeur IOS, Community Manager, Spécialiste du Cloud, ou encore Architecte Big Data …qui sont à présent des métiers très populaires et disparaîtront peut-être prochainement.
Les métiers des quinze prochaines années, ce sont les cerveaux de tous ces enfants d’aujourd’hui qui les créent. Ces enfants qui sont naturellement pleins de créativité, de désir d’apprentissage et de découverte, de vrais chercheurs. Et si les préparer au « monde actif », n’était ne pas en faire de bons exécutants, obéissants, mais plutôt des adultes libres de penser, d’innover, assurés de leurs capacités, capables de fonctionner en autonomie, en mode collaboratif, dans l’écoute, le respect, de se poser des questions au lieu d’apprendre à redonner des réponses toutes faites ? Je cite ci-après Michel Hervé, entrepreneur d’un nouveau genre et homme politique, en conférence à laquelle j’ai assistée à la Journée pour Réinventer l’école organisée par l’Ecole Démocratique de Paris :
« Pour survivre au brouillard de notre société, il faut devenir dé-brouillard. Le chemin se fait en marchant, la curiosité étant la clef ».
L’école d’autrefois préparait les enfants aux métiers d’hier, l’école d’aujourd’hui devrait préparer les enfants aux métiers de demain. Et nous ne savons ce qu’ils seront, vue l’expansion exponentielle des nouvelles possibilités dues aux technologies innovantes et si vite obsolètes : il me semble primordial, donc, d’accompagner nos jeunes dans le développement des compétences humaines et relationnelles, individuelles et collectives qui seront recherchées pour travailler de manière autonome et inventive dans les nouvelles formes d’entreprises, plutôt que de leur imposer la mémorisation répétitive des connaissances du passé, fortement dépassées par le vivant d’aujourd’hui qui évolue à une vitesse vertigineuse.
Il existe d’autres options que l’école classique, qui n’est pas obligatoire. Sachons faire nos choix, plutôt que de suivre le cursus habituel comme s’il était la vérité absolue, l’incontournable moyen pour faire quelque chose de bien de sa vie. Choisissons l’instruction en famille pour les apprentissages libres et naturels dans un cadre riche et varié, faisons « marcher la concurrence » en découvrant les écoles Montessori/Freinet/Sudbury/démocratiques/… Œuvrons pour que les alternatives soient abordables financièrement. Pour que l’Education nationale ne soit plus la référence unique mais soit une possibilité parmi tant d’autres, afin que l’apprentissage soit replacé au cœur-même de la vie, au travers d’une éducation aux multiples possibilités.
EM