La parentalité | Regards sur soi-même

Si supprimer la « discrimination positive » par l’âge pouvait donner lieu à de vraies amitiés intergénérationnelles ?

24 mars 2022

Voici un article que j’ai écrit il y a pas mal de temps et que j’avais laissé de côté car il ne me satisfaisait jamais vraiment. J’ai décidé de vous le présenter sous forme de témoignage, en espérant qu’il porte à de belles réflexions.

J’ai toujours eu le contact facile avec les enfants, de manière instinctive et naturelle. Quand j’avais 10 ans les petits venaient déjà tous s’agglutiner contre moi et je mettais un point d’honneur à leur parler « comme aux grands », mon enfance toute proche me permettant de ressentir de l’intérieur cet agacement permanent d’être « traitée comme un bébé ». Je crois que c’est pour ça que j’avais tant de succès auprès d’eux.

Jusqu’à il y a quelques années de cela, j’ai continué systématiquement à chercher à entrer en relation avec les enfants dès que j’étais en leur présence.

Des amis venaient nous rendre visite ? Une des premières choses que je faisais était de dire bonjour au petit et d’essayer de le faire rire, et il devenait rapidement mon pote. Mission accomplie.
« -Il est drôlement beau ton doudou, hein ! » Je serrais la patte de la peluche pour la saluer et son propriétaire venait m’en redemander en riant dans un jeu qui ne finissait plus.
Un plus grand avait emmené sa console ? J’allais discuter avec lui et regarder ce qu’il faisait.

Les petits invités étaient ravis et avaient du mal à me quitter après avoir passé de supers moments de jeux avec moi. « Elle est gentille la dame ! » Et moi je finissais vidée d’énergie.

A croire que tout cela n’était pas si naturel que ça. Probablement que j’en faisais beaucoup trop.

Et puis j’ai repensé ma position vis à vis des enfants, j’ai écrit mon livre « Mon enfant mon égal », et la question « qu’est-ce que je ferais si c’était un adulte ? » s’est imposée à moi aussi dans ce contexte-là.
Je me suis sentie alors bien con.

Vous imaginez ? Un ami vient me présenter sa nouvelle compagne et je m’accroupis devant elle pendant qu’elle retire son manteau pour lui dire : « alors, coucou, comment tu t’appelles, toi ? Regarde, c’est notre chat, tu peux le caresser ! »
Ok vous voyez le truc ? Vous connaissez probablement les travaux de la pertinente illustratrice Fanny Vella, qui nous permettent d’ouvrir encore un peu plus les yeux là-dessus. [NDLR son livre « Et si on changeait d’angle » est paru depuis la rédaction de cet article aux Éditions Ailes & Graines]

En même temps, si je me suis toujours sentie proche des enfants, c’est certainement car j’ai l’impression de fonctionner comme eux, de les comprendre totalement, de faire partie de leur monde. Je me dis depuis que j’ai reçu mon diagnostic, que les autistes restent peut-être simplement pour toujours dans le monde de l’enfance, avec ses bons côtés : l’émerveillement, l’enthousiasme, la simplicité, la franchise, la joie, l’hypersensibilité, …

Depuis ma prise de conscience, j’ai néanmoins décidé d’agir différemment.

J’adresse un bonjour à l’enfant, et je ne lui parle pas plus que ça s’il ne le fait pas lui-même. Je ne m’intéresse plus à son doudou, comme je ne parlerai pas non plus de la couleur du slip de mon invité adulte, je ne fais plus coucou de la main à cet enfant comme je ne le ferai pas à l’adulte en face de moi.

Bref je me concentre pour le traiter sans discrimination par l’âge, même si elle est vue comme positive. Bien sûr sans aller jusqu’à servir un steak à un nourrisson hein.

Je suis en phase d’observation de moi-même, je réfléchis sur cette situation, je prends du recul, pour en tirer mes propres conclusions et faire des choix non basés sur un conditionnement social. Je verrai un peu plus tard ce que je ferai de ma spontanéité.

Mais voilà, souvent les parents sont très fiers de leur rejeton et adorent qu’on s’intéresse activement à lui. Je remarque que le centre d’intérêt d’une rencontre amicale est souvent l’enfant, et je pense que sa présence est un bon moyen pour combler cette sorte de malaise qu’on peut avoir quand on arrive chez quelqu’un.
L’enfant est un sujet de conversation tout trouvé, qui occupe tout l’espace. Et le petit doit répondre aux questions jusqu’à ce qu’on lui ordonne de se taire et de « laisser parler les grands entre eux », au moment où ils ont enfin trouvé un « vrai » sujet de discussion.

J’ai décidé de créer de l’amitié avec lui seulement s’il le souhaite, sans désormais user de stratagèmes pour « me le mettre dans la poche ».

Du coup, c’est plus long, ou ça n’arrive pas. Et ils repartent parfois de chez moi sans que je n’aie vraiment communiqué avec eux car ce n’était pas leur demande. Et je m’imagine entendre les jugements des parents : « ben dis donc, pour une bonne femme qui écrit des livres sur la parentalité, elle a pas l’air du tout d’aimer les enfants ! » Manque d’intérêt ou impolitesse sont pourtant bien loin de moi.

Oui les enfants peuvent aimer qu’on joue avec eux, ils peuvent apprécier qu’on les fasse rire ou qu’on sacralise leur doudou, mais j’ai décidé d’être sincère, de ne le faire que si j’ai vraiment envie de jouer ou rire avec eux, et seulement s’ils sont d’accord ou en demande.

Je range le paraître au vestiaire. Je n’abuserai plus de mon pouvoir de séduction pour amadouer enfants et parents et remplir mon égo.

Et si la rencontre ne se fait pas, c’est ainsi. Peut-être une prochaine fois. Tout comme il arrive que nous n’ayons pas spécialement d’affinités avec d’autres personnes d’âges divers.

Voilà, la phase d’observation terminée, je constate que je me sens vraiment mieux ainsi. Et je constate aussi que la rencontre se fait parfois à la deuxième ou troisième visite.

J’ai eu aussi la surprise qu’un parent me fasse le retour « Mon petit t’aime beaucoup ! » alors qu’il était simplement resté assis près de moi toute la soirée…

Si on essayait de laisser de côté cette coutume de « discrimination positive » par l’âge, pour peut-être permettre la naissance de belles amitiés intergénérationnelles spontanées, sincères et authentiques ?

Lise Witzmann (Evelyne Mester).

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  1. Très intéressant, je pense qu’on gagne toujours à être authentique….
    Je me rappelle une sortie au karting qu’on a faite avec mon fils et mon beau fils de 7 et 8 ans, on s’est inscrit pour leur course mais il fallait attendre 1h30 leur tour, donc nous sommes allés sur la plaine de jeux dehors et d’autres enfants se sont approchés…. évidemment eux aussi attendaient leur tour pour la même course….moi je m’intéresse à eux un petit peu….parce que je suis comme cela curieuse des gens en général….leurs parents étaient restés au bord de la piste bien plus loin…je remarque que souvent les enfants adorent la qualité d’écoute que je parviens à leur offrir et qu’ils me racontent ainsi toute leur vie….mais je fais ça pareil avec les adultes….quand j’en ai le goût et l’énergie ! Je n’ai pas pu m’empêcher de leur dire à la fin que moi j’étais sympa et qu’il n’y aurait pas de soucis….mais que c’était pas prudent de donner autant d’informations personnelles à une parfaite inconnue…. j’avoue que j’aurais aimé discuter plus avec les parents mais ça s’est mis moins facilement….Le karting est dans notre village et cela ne fait pas encore si longtemps qu’on y vit. 😉

    1. Merci Delphine pour ton partage. Oui j’adore aussi cette façon de communiquer simplement, pas encore entachée par « ça ne se fait pas ». Voilà, le faire avec toute personne avec qui ça accroche bien, quel que soit son âge, c’est ça qui me convient aussi.